Ismail Alaoui Fdili, poète des métiers précaires

Ismail Alaoui Fdili, poète des métiers précaires
Art contemporain

Cet artiste marocain de 30 ans installé à Saint-Denis depuis 4 ans travaille désormais à Artagon, lieu de création qui a ouvert en août à Pantin dans un ancien collège, aux côtés de 50 autres artistes. Lui s’exprime par la photo, la vidéo, la sculpture et la performance. Son objectif ? Mettre en lumière des métiers socialement dévalorisés.

Ismail Alaoui Fdili aime bien l’exercice de l’interview. « Souvent, ça me force à aller encore plus loin dans mes idées. J’y annonce des choses et du coup je n’ai pas d’autre choix que de tenir parole. » La dernière fois, c’était au sujet d’un jeu vidéo en réalité virtuelle que cet hyperactif se serait bien vu créer. Bingo, ni une ni deux, cet artiste passé par l’école de cinéma Kourtrajmé et les ateliers Médicis Clichy-Montfermeil avant de poser ses valises à Artagon Pantin, avait saisi la balle au bond et créé l’objet qui vient étoffer encore davantage l’UIGV, l’une de ses idées-phares.

« L’Université Internationale de Gardiennage de Voitures », nous souffle avec un regard espiègle celui qui adore pousser à son paroxysme l’art de la satire. « C’est la première formation universitaire de gardiens de voitures au monde, elle a vu le jour au Maroc, où je l’ai mise sur pied », se rengorge le natif de Casablanca, d’ailleurs fièrement habillé d’une veste aux couleurs de l’UIGV.

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Métiers de survie

Films d’entreprise vantant le savoir-faire des formateurs de l’université, site internet d’inscription, et donc jeu vidéo en réalité virtuelle où il faut réaliser un score de 70 points pour être éligible à la formation, rien n’est laissé au hasard… Sauf que l’UIGV est en fait un savant canular, développé pour montrer que « dans ce monde, la forme est bien plus importante que le fond, et que même un métier de survie comme gardien de voitures peut faire envie s’il est vendu avec les codes et le jargon de l’entreprise », s’esclaffe celui qui a fait de la « valeur travail » un de ses objets d’étude.

« Bien évidemment, cette école est plus fictive que réelle, reconnaît Ismail, mais j’aime laisser planer le doute », insiste celui qui aime manier l’humour dans ses créations. Pour ressembler à une faculté lambda, l’école a même déjà organisé des portes ouvertes à la fondation Fiminco de Romainville, qui ont duré 1 mois. « Lors des portes ouvertes, nous étions situés à côté d’un campus pour une école américaine, cela ne faisait que de crédibiliser notre projet, des personnes venaient nous voir, sans savoir que c’était une blague, pour s’inscrire à l’UIGV », affirme Ismail Alaoui Fdili. Pourquoi le gardiennage de voitures ? « C’est un métier qui m’intéresse car c’est à la fois de l’assistance aux personnes et de la surveillance, donc un métier utile. Pourtant, il reste socialement dévalué, c’est un métier de survie. Un autre aspect de ce métier qui m’intéresse est son entre-deux entre caractère actif et passif. Ceux qui exercent ce métier sont actifs mais passent leur temps à contempler les choses de la vie. C’est une posture dans laquelle je me reconnais », dit celui qui avait aussi mis en scène une séquence de recrutement à Aubervilliers.

La Seine-Saint-Denis, cet artiste passé auparavant aux Beaux-Arts de Cergy dit y être arrivé « un peu par hasard ». « Mais je m’y sens bien, il y a une diversité de population et de classes sociales, c’est un endroit fertile où il y a beaucoup de zones à exploiter. Les artistes ne s’y trompent d’ailleurs pas : il y a le 6B, Souk Machines qui vient de quitter Saint-Denis, et maintenant Artagon… », nous explique-t-il tout en jouant avec un dé clignotant.

Art de la satire

Avant Artagon, Ismail aura pu profiter de la formation de l’école Kourtrajmé, à Montfermeil, sous la direction de Ladj Ly, réalisateur du film « Les Misérables » tourné principalement à Montfermeil et Clichy-sous-Bois. « Cette formation m’a beaucoup aidé à ce moment de ma vie, c’était très empirique, exactement ce qu’il me fallait. C’est vraiment une expérience qui m’a marqué à vie », raconte celui qui aura participé durant cette période à la réalisation du court-métrage « Ça passe », un film au message assez politique sur un jeune de banlieue à qui une metteuse en scène parisienne (Jeanne Balibar) fait miroiter une carrière à l’Opéra.

Dans la même année, cette fois avec les Ateliers Médicis, il expose ses œuvres au Palais de Tokyo lors de l’exposition « Jusqu’ici tout va bien », référence directe au film « La Haine ». A cette occasion, il crée notamment des chaises en béton, reproductions pesantes de la fameuse chaise en plastique de jardin « Monobloc » qui ont fait réagir le public. Le béton est du reste un matériau qu’il avait déjà travaillé lorsqu’il avait promené un trottoir en laisse dans les rues de Toulouse. « La France est le pays européen le plus bétonné au monde, je trouvais ça drôle de se promener avec un trottoir dans les rues qui elles-mêmes sont entourées de trottoirs. Moi je suis très sensible à l’humour et à la comédie. Je pense que la satire, c’est très important dans notre monde actuel », s’explique-t-il.

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C’est cet art de la satire que le Marocain voulait aussi partager avec les élèves du collège Pierre-André Houël de Romainville. « Un peu dans le même but que l’UIGV, j’avais demandé à 18 élèves d’inventer un métier inexistant et d’en faire une vidéo pour le promouvoir. Les élèves se sont très rapidement pris au jeu et deux faux métiers ont vu le jour : « dormeur pro » et le « zoo des animaux fantastiques ». Là encore, on voit poindre une réflexion sur les critères requis pour faire d’une activité un métier « socialement utile » et l’art qu’il y a finalement à créer un besoin. « J’ai bien aimé cette expérience avec les jeunes et j’aimerais bien remettre ça ». La voilà, la prochaine idée d’Ismail énoncée en interview… Et on peut être sûr que s’il l’a dit, il le fera.

Photo : ©Eric Garault

Plus d’infos sur Ismail Alaoui Fdili :

  • Instagram : @alafdilism
  • Mail : alafdilis@gmail.com

Plus d’info sur l’UIGV :

  • Instagram : @UIGV_officiel

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