Indépendance de l’Algérie : une oeuvre mémorielle au parc Valbon

Indépendance de l’Algérie : une oeuvre mémorielle au parc Valbon
Sculpture

Le Président du Département Stéphane Troussel, au côté de son excellence Saïd Moussi, ambassadeur d’Algérie en France, a dévoilé le 1er novembre au parc Georges-Valbon à la Courneuve une sculpture en souvenir de tous∙te∙s les combattant∙e∙s pour l’indépendance algérienne. Un « Vigilant » que son auteur, le plasticien Rachid Koraïchi nous présente avec force détails.

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Vous êtes un artiste algérien pluridisciplinaire (peintre, graveur, illustrateur…) de renommée internationale. Pourquoi avoir réalisé cette oeuvre monumentale ?

Témoin adolescent de la guerre en Algérie, j’ai voulu rendre hommage à toutes les victimes de ce conflit sanglant. La politique de colonisation de l’époque n’avait alors rien à voir avec les principes républicains de la France et son attachement aux droits de l’Homme.

Ma statue d’un homme d’un peu plus de trois mètres est un hommage au courage des citoyens et citoyennes français∙e∙s et algérien∙ne∙s qui se sont opposé∙e∙s à cette politique, à l’Organisation de l’armée secrète et à l’extrême droite qui doit toujours faire l’objet de la vigilance des peuples. C’est ce que j’ai voulu exprimer par la représentation d’un combattant qui porte loin le regard, comme une vigie. Mettons à distance les haines héritées du passé pour rester dans l’échange et la fraternité entre les peuples qui nous porteront vers l’avenir.

J’avais également rendu hommage pour la Ville d’Aubenas à d’autres « Vigilants »  : l’écologiste Pierre Rabhi, l’architecte André Ravéreau et sa femme la photographe Manuelle Roche qui ont, chacun à leur niveau, contribué à une meilleure compréhension entre les deux rives de la Méditerranée.

Vous aviez 17 ans lors de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962. Comment avez-vous vécu personnellement ce moment historique ?

Mon père, comme un grand nombre de patriotes, combattait au sein du Front de libération nationale. J’étudiais dans une école indigène de garçons dans les Aurès en étant comme tous les Algériens et Algériennes de l’époque victime de discriminations de la part de l’empire colonial français. J’ai eu la douleur de voir les parachutistes débarquer dans notre maison et torturer mon père avec des chiens.

Pourtant, cette domination était parfois accompagnée d’une certaine forme d’ambivalence : une voisine française nous avait accompagné à la gendarmerie pour que nous revoyions notre père en prison, je garde un souvenir merveilleux d’un professeur de littérature qui m’a fait découvrir l’archéologie…

Comme partout, il y avait des salauds mais aussi des gens merveilleux que l’on ne pouvait pas ne pas aimer…

En 1962, l’indépendance a été un immense soulagement pour tout le peuple algérien mais nous avons ressenti plus tard une forme de déception sur ce qu’était devenu le pouvoir, comme cela s’est vu d’ailleurs dans d’autres pays d’Afrique ou d’Asie. Et je ne parle même pas des années noires de la guerre civile à partir de 1991…

Comment avez-vous réalisé cette statue monumentale et a-t-elle une résonance particulière sur le territoire de la Seine-Saint-Denis ?

Ce n’est pas forcément visible mais j’ai travaillé sur la forme du chiffre 7 qui a un symbolisme très fort sur les plans spirituel et religieux. Le Département a choisi parmi les 7 dessins proposés puis j’ai agrandi ce croquis en respectant des épaisseurs et des parois de 7 cm. On a réalisé un moulage en plâtre et en élastomère puis mon équipe a coulé du bronze avec une armature métallique très puissante dans une fonderie en Grèce. L’ensemble a ensuite été poli et lustré avant de rajouter une patine pour que la couleur ne bouge pas.

L’emplacement du « Vigilant » a un sens particulier. Lorsque j’étais étudiant, j’allais souvent dans les bidonvilles de la Courneuve et de Saint-Denis soutenir les ouvriers maghrébins qui travaillaient chez Renault ou chez Citroën. Ces cités de bric et de broc étaient des lieux de militantisme et de syndicalisme fort avec certain∙e∙s habitant∙e∙s qui ont souffert des répressions policières des années 60. Soixante ans après l’indépendance de ce pays, j’espère que mon œuvre contribuera à une réconciliation des mémoires et au refus des amalgames quel que soit le côté où l’on se trouve.

Le Département, passeur de mémoire

Cette statue, don de Rachid Koraïchi au Département commémore le soixantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Elle croise la politique mémorielle de la collectivité et sa politique d’art dans l’espace public à destination de tous∙te∙s.
L’étude du « Vigilant » a été présentée aux habitant∙e∙s en juillet lors d’un rassemblement populaire, en présence du Président Stéphane Troussel et de la vice-présidente en charge du patrimoine culturel, de la mémoire et de l’éducation artistique et culturelle Dominique Dellac.

« La Seine-Saint-Denis connaît un brassage de population important depuis de longues années avec plusieurs centaines de milliers d’Algériens installés après 1945. Cette statue a aussi une portée universelle en rappelant à la vigilance par rapport aux préjugés et à l’intolérance » explique la vice-présidente. Un livre dédié à la sculpture de Rachid Koraïchi sera par ailleurs prochainement publié par la collectivité, comme pour toutes les œuvres d’art à venir dans l’espace public.

« Le Vigilant s’inscrit aussi comme l’une des premières œuvres de notre politique d’Art dans l’espace public : nous voulons que tous les habitants de Seine-Saint-Denis aient accès à des œuvres le long des canaux, dans les parcs, au carrefour des villes et entrent en contact avec elles… » ajoute Stéphane Troussel, soucieux de faire participer les Séquano-Dionysien∙ne∙s au processus de création et d’installations artistiques.

Une Journée sur les 60 ans de l’indépendance algérienne

Dévoilée le 1er novembre, l’œuvre de Rachid Koraïchi s’inscrit dans un cycle plus large d’événements mis en place par le Conseil départemental pour comprendre les grandes étapes ayant jalonné le processus de création de l’État algérien. Après plusieurs tables rondes consacrées au massacre du métro Charonne, aux accords d’Evian ou une lecture organisée à la MC93 en hommage à l’œuvre du célèbre romancier constantinois Kateb Yacine… une journée d’étude est organisée mardi 8 novembre en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme et l’association la Boîte à Documents. Des chercheur∙euse∙s, historien∙ne∙s, linguistes… s’interrogeront sur le regard porté par les citoyen∙ne∙s sur la création du jeune État algérien et son évolution depuis 1962 pour mieux comprendre l’Algérie contemporaine et les relations entre nos deux pays.

Journée d’étude de 9h à 16h30
à la Bourse du Travail Clara-Zetkin
11 Rue du 8 Mai 1945 à Bobigny
Inscription ici

Appel aux témoignages des habitant∙e∙s

JPEG - 22.1 koVous avez vécu la Guerre d’Algérie et elle a marqué votre vie. Que vous ayez été civil∙e en appui au conflit (préparation de repas, logistique, transport…), appelé du contingent, combattant∙e du FLN, harki ou femme de harki, rapatrié∙e, militant∙e politique… vos souvenirs sont précieux !

Vous pouvez nous aider à constituer une mémoire populaire autour de cette période qui a marqué notre histoire. Envoyez-nous vos témoignages ou laissez-nous un message avec vos coordonnées à l’adresse suivante : histoirememoire-archives@seinesaintdenis.fr. Un document de synthèse rassemblera ultérieurement ces interventions.

Crédit-photo : Bruno Lévy

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