Lutte contre les violences

Grenelle contre les violences conjugales : un accueil mitigé

Lundi 25 novembre, le gouvernement a rendu ses conclusions sur le Grenelle contre les violences conjugales, initié il y a trois mois. Dans un département très fortement impliqué sur ces thématiques, l’accueil de ce plan est réservé. Si certaines des 30 mesures annoncées sont accueillies positivement, la plupart des associations soulèvent la question des moyens alloués.

Suspension de l’autorité parentale pour le parent violent, possibilité pour les médecins de déroger au secret médical en cas de situation de danger, ouverture du numéro d’urgence 3919 24h sur 24, confirmation de 1000 places d’hébergement d’urgence… Lundi 25 novembre, le Premier ministre Edouard Philippe et la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa ont rendu publique la trentaine de mesures comprises dans les conclusions du Grenelle contre les violences conjugales, initiées le 3 septembre dernier. Des annonces qui feront l’objet d’une proposition de loi débattue au Parlement en janvier.
Samedi 23 novembre, deux jours avant ces conclusions, une manifestation lancée à l’appel du collectif féministe Nous Toutes avait réuni dans les rues de Paris entre 50 000 et 100 000 personnes selon les décomptes, chiffre quoi qu’il en soit historique.

En Seine-Saint-Denis aussi, cette lutte contre les violences faites aux femmes mobilise, du Département lui-même à de nombreuses associations. Dans ce territoire marqué encore très fortement par un féminicide survenu début novembre à Montfermeil, on appréciait diversement ces annonces.
Il y avait tout d’abord celles qui ne voyaient dans la dernière sortie du gouvernement qu’un « effet d’annonce ». C’était le cas d’Isabelle Colet, directrice de la Maison des Femmes de Montreuil. « Les décisions du Grenelle sont des mesurettes, des mini-dispositifs qui ne sont là que pour faire un coup de com. Un des principaux reproches que nous faisons depuis bien longtemps et qui n’a pas changé est qu’il y a aujourd’hui une carence professionnelle dans l’accompagnement des parcours de femmes victimes de violences qui est dramatique, ce qui fait que la plupart retournent subir des violences. Mettre en avant le 3919 ne sert à rien si derrière, l’accompagnement professionnel n’est pas assuré », tonnait cette représentante d’une structure emblématique dans le département, fondée par la militante féministe Thérèse Clerc.

Un toit ne suffit pas

Quoique plus mesurée, Brigitte Broux, présidente de SOS Femmes 93 demandait elle aussi à voir. « On ne peut que se féliciter de l’octroi de moyens financiers supplémentaires pour la lutte contre les violences envers les femmes, mais il reste à savoir sur quels postes et à quelle hauteur ces moyens seront attribués. » Et de développer son argumentaire : « Le Premier ministre a annoncé la création de 1000 hébergements d’urgence supplémentaires. Très bien, mais on sait qu’un toit ne suffit pas. Une femme victime de violences a besoin d’être accompagnée par du personnel formé, elle comme ses enfants doivent être suivis psychologiquement. On sait très bien que si l’on place une femme victime dans un dortoir, une chambre d’hôtel sans lui assurer un suivi, on crée les conditions pour qu’elle retourne au domicile du conjoint violent, avec des risques encore accrus. Or, cette année encore, notre CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) a vu ses financements baissés de 42 000 euros, soit un poste à temps plein… »

De manière générale, la question des moyens mis à disposition faisait grincer des dents. Edouard Philippe avait ainsi beau expliquer que 361 millions d’euros supplémentaires seraient débloqués et que le milliard d’euros réclamé par la plupart des associations féministes lors de la manifestation de samedi était atteint « de manière transversale », entre les différents champs de compétence, le compte n’y était pas pour la majorité d’entre elles.

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La Maison des Femmes de Saint-Denis

A l’inverse, il y avait celles qui préféraient voir le verre à moitié plein. « Je retiens tout particulièrement la suspension de l’autorité parentale chez le conjoint violent, qui me semble essentielle. Ensuite, je me réjouis du vote d’une mission d’intérêt général dédiée à toutes les équipes qui veulent s’engager dans la création de lieux sur le modèle des Maisons des Femmes. Il est important de faire boule de neige. », soulignait Ghada Hatem, médecin-cheffe de la Maison des Femmes de Saint-Denis. Créée dans le giron de l’hôpital Delafontaine, cette structure qui accueille des femmes victimes de violences par une prise en charge pluridisciplinaire, va donc peut-être pouvoir être dupliquée ailleurs qu’à Bordeaux et à Tournus, où elle s’est déjà implantée.

Carence sur le volet éducatif

Enfin, du côté de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes, structure créée en 2002 et pionnière dans beaucoup de domaines, Ernestine Ronai, sa responsable et co-fondatrice, restait mesurée. « Il y a des avancées, des manques aussi. Parmi les avancées, nous sommes attaché·e·s à la suspension de l’autorité parentale pour le parent violent, que nous défendons depuis longtemps en Seine-Saint-Denis. Je trouve aussi pertinente l’idée d’intégrer la notion de suicide forcé au code pénal. Car selon une étude, 242 femmes en situation de violences sexistes se sont suicidées cette année, ce qui s’ajoute in fine aux 138 féminicides recensés cette année. »

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Ernestine Ronai aux Rencontres de l’Observatoire "Femmes du Monde"

Si Ernestine Ronai se félicitait qu’un certain nombre de mesures éprouvées par l’Observatoire au cours de ces dernières années puissent bientôt être étendues – le téléphone grand danger, la mesure d’accompagnement protégé (qui permet de sécuriser les visites du père violent à son enfant) - elle regrettait aussi « des carences évidentes ». « Sur le volet éducatif, on n’y est pas, jugeait-elle ainsi. Il y a certes cette formation rendue obligatoire des enseignants à l’égalité filles-garçons, mais rien sur les violences en tant que telles. Ni pour les jeunes, ni pour les professionnels de l’enfance et de l’adolescence. C’est incontestablement un manque. »

Une position partagée par Noria Belgherri, référente égalité filles-garçons et chargée de prévention des violences scolaires au Département de la Seine-Saint-Denis. « Dans les cours de récréation, les garçons ont le pouvoir et en occupent la plus grande part au centre tandis que les filles sont reléguées à la périphérie. Même les sanctions sont genrées, on ne punit pas de la même façon filles et garçons. Mais à la décharge du personnel de l’Éducation nationale, on leur a demandé d’appliquer les lois et mesures favorisant la mixité sans leur accorder de moyens proportionnés. Comment par exemple deux seuls encadrants peuvent-ils animer des activités mixtes et égalitaires dans une cour de récréation de 500 collégiens ? », faisait remarquer cette agente d’un Département qui aimerait par exemple voir dupliqué Jeunes contre le sexisme dans d’autres territoires. Proposant des actions pédagogiques et ludiques depuis 2009, ce dispositif a sensibilisé plusieurs centaines de collégiens et collégiennes à la lutte contre les comportements sexistes et les stéréotypes de genre.

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Jeunes contre le sexisme 2015

Au total, en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, on estimait donc que ces mesures n’étaient pas franchement à la hauteur d’une « grande cause nationale ». Pour rappel, 138 femmes ont déjà été tuées par leur conjoint en France en 2019, chiffre en augmentation par rapport à 2018 où elles étaient 121. Et environ 220 000 femmes sont chaque année victimes de violences sexistes et sexuelles en France.

Georges Makowski et Christophe Lehousse

Photos : ©Nous Toutes
©Nicolas Moulard
©Franck Rondot
©Patricia Lecomte

Savoir plus sur l’action du Département  : https://seinesaintdenis.fr/-Observatoire-des-violences-envers-les-femmes-.html

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