Cyclisme Montreuil Handicap

Grâce à la STAARP, valides et déficients visuels forment un beau tandem

Etablie à Montreuil depuis près de quarante ans, l’association STAARP (Section tandem des auxiliaires des aveugles de la région parisienne) propose à des personnes déficientes visuelles de faire du vélo en tandem. Une pratique qui, si elle exige d’être concentré et de bien communiquer, procure beaucoup de plaisir et des sensations fortes.

Ce matin, Christophe et son équipe se sont donné rendez-vous au parc des Beaumonts, à Montreuil, point de départ d’une balade à vélo qui va durer environ deux heures. Au programme : les rues de Montreuil, le bois de Vincennes et les bords de Marne. Christophe Derouet, 54 ans et non-voyant, est président de la STAARP (Section tandem des auxiliaires des aveugles de la région parisienne), une association localisée à Montreuil depuis bientôt quarante ans qui propose à ses adhérents la pratique du tandem. Des vélos biplaces munis de deux paires de pédales sur lesquels font équipe cyclistes valides (pilotes) et cyclistes malvoyants et/ou non-voyants (copilotes). Installés à l’avant, les premiers susnommés distribuent les consignes, contrôlent la cadence et gèrent les vitesses et les commandes de freins. « C’est beaucoup de responsabilité, une autre manière d’appréhender le vélo mais c’est passionnant car, en général, ça marche très bien », confie Christian, pilote au sein de l’association depuis un an. « Il y a au départ toujours un temps d’adaptation car l’engin exige qu’on pédale ensemble et à la même vitesse, précise Christophe. Seule la personne à l’avant peut diriger la machine. Celle qui est située derrière dispose d’un guidon non directionnel, lui permettant uniquement de se tenir. » A la STAARP, qui a quasiment doublé ses effectifs ces trois dernières années (passant de 28 à 50 adhérents), on retrouve tous les âges, tous les sexes (curieusement, les femmes étaient absentes ce jour-là) et tous les niveaux. « Qu’il pleuve ou qu’il vente, je pédale toute l’année, je parcours environ 3 000 kilomètres par an », se targue Alain, cycliste copilote chevronné et féru de sport en tout genre.

Redoubler de vigilance face aux automobilistes

« Le tandem est confortable à condition de bien communiquer, il faut être clair et précis, prévient François, pilote de son état. L’engin est lourd, volumineux et compte à son bord deux personnes. Il faut trouver les automatismes, prévenir quand on tourne ou quand on souhaite s’arrêter. On réapprend à faire du vélo en quelque sorte. »

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Dans le groupe, chaque équipe a ses tics de langage, ses codes pour rendre les choses plus simple. A chaque départ, une des phases les plus dures à négocier, Alain et Christian, par exemple, crient « Prêt, 2, 3, allez ! ». « En ce qui me concerne, quand je change de vitesse, je dis ‘’clic !’’ », éclaire Jean-Pierre, un des plus anciens membres de l’association. Avec le temps et l’expérience, ce qui s’apparente à des difficultés (le changement de vitesse à l’approche d’une côte, se pencher dans les virages qu’il ne faut pas prendre trop serrés, etc.) finit par se transformer en de simples banalités. « Ce qui ne change malheureusement pas en revanche, c’est le comportement des automobilistes sur la route. Il faut redoubler de vigilance », alerte Christian. Pourtant, on ne peut pas dire que les cyclistes de la STAARP passent inaperçus. Outre leurs vélos, qu’on ne croise pas à tous les coins de rue, ils arborent, quand les beaux jours reviennent, un très joli maillot rose fluo qui n’est pas sans rappeler celui de la ONCE (Organisation nationale des aveugles espagnols), une ancienne équipe cycliste qui a fait beaucoup parler d’elle sur le Tour de France, notamment. « C’est évidemment un clin d’œil, sourit Christophe. On ne pouvait pas passer à côté de cette occasion. Et puis sur la route, il faut être le plus visible possible, le fluo pour cela c’est parfait. »

Sur un pied d’égalité

Si sur le biplace, la personne déficiente visuelle « se laisse guider », elle se dépense autant qu’un cycliste voyant. « Les sensations sont excellentes, assure Carlos, aveugle depuis la naissance. Quand la cadence s’accélère, par exemple, je prends beaucoup de plaisir. » Et d’ajouter, rigolard : « Beaucoup moins quand ça monte par contre. » « C’est grâce à cette association que j’ai pu de nouveau remonter sur un vélo, relate Christophe. Cela me permet de m’entretenir physiquement et de faire plein de rencontres, choses qui me paraissaient inenvisageables au moment où je suis devenu aveugle il y a de cela vingt-cinq ans. » A la STAARP, les sorties ont lieu le jeudi matin et le dimanche. Le groupe se donne rendez-vous à Montreuil, au siège de l’association (rue Gambetta) en général, puis file en direction du bois de Vincennes, des bords de Marne ou du lac de Vaires-sur-Marne.

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Affiliée à la Fédération française handisport (FFH) et membre du Collectif Vélo Ile-de-France (35 associations, 4 000 adhérents) dont l’objectif est de convertir la région en une terre cyclable, la Section tandem prend également part à des rallyes de cyclotourisme toute l’année, partout en France, pour sensibiliser la population au handicap. Cet été, ils prendront tour à tour la direction du Lubéron avec l’Association Valentin Haüy (qui aide les aveugles et les malvoyants à sortir de leur isolement) et de la Basse-Normandie. « Je me félicite que dans le Département il y ait actuellement une politique en faveur du vélo, qui a été renforcée depuis l’éclatement de la crise sanitaire avec l’arrivée des "coronapistes", se réjouit le président de l’asso. Mon seul regret est que ces pistes ne soient pas dotées d’une signalétique adaptée, cela permettrait aux cyclistes porteurs d’un handicap de pratiquer sans peur et appréhension. » D’autant plus important que le tandem « a ceci de magique qu’il met valides et déficients visuels sur un pied d’égalité, fait valoir Olivier, pilote à la STAARP. Pour avancer, l’un a besoin de l’autre, sans qu’il y ait cette notion d’aidant et d’assisté. Le handicap finit par se faire oublier. Le pire pour moi serait qu’un copilote me remercie une fois la balade terminée. Heureusement, ce n’est jamais arrivé. »

Photos : ©Sylvain Hitau

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