Athlétisme Montreuil

Fête des pointes à Montreuil

Pour les 10 ans du meeting de Montreuil, Shubenkov, vice-champion du monde russe du 110m haies, a signé un retentissant 12’99, tandis que Genzebe Dibaba aura échoué à un souffle de son propre record du monde. Lavillenie, 2e derrière un épatant Duplantis, a fait le boulot avec 5m 86 devant un public conquis. Reportage et photos.

Lui-même ne pensait pas avoir couru son 110 m aussi vite. Pourtant, champion du monde 2015, Serguey Shubenkov est habitué à survoler les haies façon missile. « Lorsqu’on court, on ne se dit pas « Woaw ! Je vais vite là ! » On a tout simplement pas le temps ! Je ne m’attendais pas à une telle perf, je suis à un centième de mon record. Après la naissance de mon fils il y a trois semaines, j’étais décontracté et tout c’est bien mis en place. » Lorsqu’on demande à cet habitué des grands shows de la Golden League son avis sur le stade Jean-Delbert, il répond : « Pas besoin de grands stades pour faire une performance. Ici la piste est ok, le public est chaud, connaisseur… c’est ça l’athlétisme ! »

Dans les gradins, les spectateurs savouraient. Un certain Ladji Doucouré, champion du monde 2005 sur la distance, émettait un hochement de tête approbateur. Même l’armada bleue devait s’avouer vaincue : Pascal Martinot-Lagarde, pourtant 3e dans un beau 13’’28, ne pouvait qu’applaudir. Lui qui possède un record perso en 12’’95, appréciait en connaisseur. « C’est interstellaire, ce qu’il a fait. Et ça me donne moi aussi envie de repasser sous cette barrière. Mais pour ça, il me manque encore de pouvoir maintenir la cadence jusqu’au bout. »
Aurel Manga, 5e en 13’’54, voulait retenir le positif de sa course. « Je n’ai pas encore les minima pour les Europe (13’’40), mais ça descend… De toute manière, mon véritable objectif, ce sont les Jeux de 2020 ». Le local de l’étape, qui avait tant brillé lors des 2 précédentes éditions, se disait juste content d’être là, devant son public.

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Un public qui trépignait d’impatience, Renaud Lavillenie va sauter ! Pour faire briller les perchistes, le CA Montreuil a monté une piste sur-élevée sur la pelouse juste en face de la tribune principale. On allait rien louper des moindres détails de la course d’élan, de l’impulsion, de la bascule… Le recordman du monde français commençait son concours à 5m71, lorsque d’autres l’avaient déjà terminé, puis 5m86. Seul le junior Suédois Armand Duplantis le défiait avec un saut à 5m91. La barre fut alors portée à 5m96, synonyme de tentative de record mondial junior pour Duplantis et retour aux affaires pour le patron de la perche. Mais ni l’un ni l’autre n’y sont parvenus. Renaud Lavillenie se dit « Tout de même satisfait car j’ai pu utiliser de nouveau les même perches qu’il y a deux ans lorsque je montais plus haut. » Et à propos de son jeune challenger il déclarait : « Jamais encore un junior n’a été aussi performant dans aucune discipline de l’athlé, c’est sur que c’est un client à prendre au sérieux. Il gagne ici, mais Montreuil n’est pas le championnat d’Europe... »

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Avec 12’’97, la Polonaise Karolina Kołeczek a remporté le 100m haies. A l’arrivée, elle déclarait tout sourire et presque aussi vite qu’elle avait couru : « Je suis très heureuse ! Je fais ma meilleure perf de la saison, à 6 centièmes de mon record. Venir ici était une très bonne idée, l’ambiance est top et le tartan super vite ! Ou c’est moi et alors j’espère bien battre mon record bientôt ! »

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Genzebe Dibaba, elle, aura échoué d’un souffle dans la tentative d’amélioration de son propre record du monde sur 2000m. 5 minutes 23’’ 75, c’était le temps à battre. La quadruple championne du monde en salle aura finalement accusé un débours de 4 secondes. Encore sur les bases de son nouveau record du monde à la mi-course, l’exploit lui a échappé dans les deux derniers tours, alors qu’elle était déjà sans lièvre. Pas de quoi faire déchanter Teney Fofana, Mélanie Ali ou encore Khady N’Diaye. Ces jeunes sportifs de l’association sportive du collège Henri-Barbusse de Bagneux, guidés par Ladji Doucouré - on le retrouve - avaient droit à une séance personnalisée de signature d’autographes que la reine éthiopienne apposait sur leurs sacs à dos. « On a tous commencé comme ça, à rêver devant d’autres athlètes », commentait Ladji Doucouré, qui a récemment fondé « Golden Blocks ». « C’est une association qui vise à amener les gamins des quartiers populaires vers l’athlé en débutant par le côté ludique - des défis entre potes, au bas des tours – pour ensuite les guider vers le sport structuré en club », explique Ladj’ qui prêche ainsi la bonne parole de l’athlé dans toute l’Île-de-France.

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Jean-Noël Crétinoir a peut-être lui aussi commencé comme ça. Toujours est-il qu’il a sûrement donné envie à plus d’un gamin de Montreuil de goûter au tartan. Le triple sauteur maison semblait porté par son public, mardi : 16m86 à son 3e essai. Trop de vent pour que cela signifie un nouveau record personnel pour le sympathique sauteur de 23 ans. Mais suffisant pour lui assurer l’or et de quoi nourrir des ambitions. « Mon objectif de la saison, ce sont les Europe. J’ai déjà porté le maillot bleu chez les cadets, les juniors, mais jamais encore en seniors. J’aimerais bien connaître ma première sélection cette année », expliquait le Martiniquais, arrivé au club de Montreuil en 2014. Celui qui passe actuellement une licence en physique des matériaux à Créteil prouvait en tout cas qu’il avait matière à espérer cette année.
Toujours chez les locaux, Cynthia Anais, de Saint-Denis Emotion, avait elle aussi de gros motifs de satisfaction. 6e du 800m derrière l’impressionnante Burundaise Francine Niyonsaba (1’59’’ 71), elle pouvait s’enorgueillir d’un nouveau record personnel en 2’01’’21. Une année faste pour elle puisqu’elle avait déjà été sacrée cet hiver championne de France en salle. « C’est vrai que c’est une bonne année pour moi. Ce soir, j’avais encore de bonnes sensations, je me suis concentrée sur ma course, sans trop me préoccuper des autres ». A l’arrivée, les minima pour les Europe étaient tout proches, mais la native d’Aubervilliers n’en fait pas une obsession. « Ça viendra si ça doit venir, moi je veux avant tout m’amuser », lâchait cette globe-trotter, passée pendant 3 ans par le sport universitaire américain, dans une université du Maryland. La soirée, délicieuse, s’achevait sur un 1500m, dans une brise légère et la promesse d’autres beaux moments. Et sur les sacs à dos des jeunes de l’AS du collège Barbusse de Bagneux, il ne restait quasiment plus de place, la faute aux autographes.

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photos : Sylvain Hitau

Le meeting de Montreuil, dix sur dix

Dix ans, ça compte, surtout quand ils sont faits de sueur et de passion. Voilà une décennie que le meeting de Montreuil ravit les fans d’athlétisme mais aussi plus généralement les curieux de sport en Seine-Saint-Denis. Sally Pearson, Teddy Tamgho, Pierre-Ambroise Bosse : plus d’un champion du monde est passé par là. Et tout ça, depuis toujours, de manière entièrement gratuite. « Historiquement, le club a toujours organisé des événements populaires. On n’est pas dans une bulle, on veille à l’endroit dans lequel on est implanté, à côté de la cité des grands-pêchers. Au départ, ce meeting procède aussi de la volonté de redorer l’image des quartiers et de montrer qu’ici aussi naissent de belles histoires », explique Loïc Giowachini, directeur du meeting. « Une telle fête de l’athlé n’avait de sens que si elle était accessible à tous », renchérit Gérard Jock. Et l’actuel président du club de rendre hommage à son prédécesseur, Jean-Claude Lerck, décédé en début d’année. « Il aura été l’initiateur de ce meeting, avec la ville. On ne le remerciera jamais assez ».
En tribunes, les spectateurs mesuraient d’ailleurs la chance qu’ils avaient. « Voilà 5 ans que je suis fidèle au poste  », témoignait Olivier, vendeur en boutique Adidas et lui-même coureur de marathon. « Dans mes coups de cœur des années passées, je citerais Jimmy Vicaut et son record d’Europe ou Yohan Blake », se remémore ce fondu d’athlé qui fait d’ailleurs collection de dossards du meeting et est parvenu à se faire offrir celui de Vicaut en 2016 et de Martinot-Lagarde. Son copain Julien, deux meetings à son actif, retenait « la proximité des athlètes avec le public » et « la possibilité offerte à travers ce genre de meeting à de jeunes espoirs français de se mesurer au niveau international ». Des événements comme celui-ci, on en redemande encore pendant 10 ans…

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