Festival Villes des Musiques du Monde : « une édition la plus fraternelle possible »
Hommages à Rachid Taha et Idir, tournée de Mouss et Hakim (ex-Zebda), guitares endiablées de Titi Robin ou Sanseverino… Jusqu’au 9 novembre, la 23e édition du festival Villes des Musiques du Monde fait l’effort de se tenir malgré le contexte sanitaire, un peu partout dans le territoire. Interview avec son directeur, Kamel Dafri.
Votre 23e édition, qui a démarré le 9 octobre dernier, est malheureusement chamboulée par la crise du Covid. Vous teniez néanmoins à la maintenir, dans le respect évidemment des consignes sanitaires et du couvre-feu. Pourquoi ?
Parce que je crois que les gens ont besoin de ça, tout simplement. Le maître-mot du maintien n’est pas économique, mais humain. L’enjeu, c’est de limiter les impacts psychologiques et sociaux de la crise sanitaire, car ça aussi c’est un danger. Et puis, pour un festival qui s’est fixé pour objectif de construire des situations de rencontres artistiques et éducatives, toute autre formule que la physique aurait été dénuée de sens... En fait, on a voulu faire l’édition la plus fraternelle possible. Evidemment, on fait ça en toute responsabilité, dans le respect des règles sanitaires. D’ailleurs, si on peut maintenir ce festival, il faut aussi dire que c’est grâce aux subsides publics. Car cette année, ce ne sont certainement pas la buvette ni la restauration qui vont permettre d’équilibrer les comptes.
Le thème de cette année, c’est Douce France. Ca résonne comme un appel à la douceur et au rassemblement dans les moments douloureux que traverse le pays…
Oui. C’est vrai qu’on a besoin de douceur, actuellement… Et puis, ce thème rappelle aussi à quel point la France a une histoire-monde importante qui se chante et se danse ici. Notre patrimoine culturel est riche de musiques qui viennent peut-être d’ailleurs mais qui ont pris racine ici et qui nourrissent les musiques d’ici…
Et puis Douce France, c’est aussi un hommage direct à Rachid Taha, décédé en 2018 et qui avait fait sienne en 1987 avec Carte de séjour la chanson de Trenet.
Bien sûr. A l’époque, ça avait fait polémique, certains ne reconnaissant pas à Rachid Taha le droit de s’approprier ce patrimoine-là. Aujourd’hui, il n’y a plus de polémique : tous ces artistes d’origine immigrée, de Rachid Taha à IAM en passant par Zebda, ont écrit une partie de l’histoire musicale française. Zebda tout particulièrement ont été parmi les premiers à dire : « nous aussi on est chez nous », en se dégageant de toutes les formes d’assignation et d’appartenance. De manière générale, ce qu’on veut donner à comprendre, c’est que la chanson française est traversée par le mélange.
Justement, un autre temps fort du festival, c’est la tournée sur 5 dates de Mouss et Hakim (ex Zebda) en Seine-Saint-Denis. Ils présenteront « Origines Contrôlées », un répertoire de chansons traditionnelles algériennes.
Oui, c’est un hommage, version acoustique, à tous les grands musiciens du patrimoine maghrébin et en particulier algérien : Slimane Azem, Dahmane el Harrachi… L’idée, c’est de faire connaître ces musiques que les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent peut-être pas, de les partager. Pour certains, ce sont les musiques de leurs parents et grands-parents, pour d’autres non, mais c’est beau de les partager avec tout le monde.
La tournée de Mouss et Hakim commence le 1er novembre à Aubervilliers, où sera aussi projetée La Caravane des quartiers, documentaire de Mehdi Lallaoui. De quoi s’agit-il ?
La Caravane des quartiers, c’est un mouvement d’éducation populaire qui avait traversé les grandes villes de France dans les années 90. Cela avait mobilisé des groupes comme La Mano Negra, Carte de Séjour... Le but était d’impliquer des habitants des quartiers populaires dans la création d’un moment unique et de susciter aussi des vocations. Le documentaire de Mehdi Lallaoui, qui faisait lui-même partie des militants portant cette initiative, retrace cet projet. Et le débat qui suivra permettra de prolonger l’histoire avec l’émergence des cultures urbaines qui se poursuit aujourd’hui.
Vous parliez tout à l’heure de musiques d’ailleurs mais qui ont pris racine ici. Ca fait aussi directement écho avec le Prix des Musiques d’ici que vous avez créé en 2017 et qui fête cette année sa 4e édition…
Oui. On essaie d’installer depuis 2017 - c’est-à-dire à l’occasion des 20 ans du festival - cette notion des Musiques d’ici, autrement dit des musiques produites par des artistes issus d’une diaspora mais qui vont à la rencontre d’une scène locale jazz rock ou électro… C’est l’occasion de mettre en avant la jeunesse, mais aussi des groupes qui passent malheureusement sous les radars des circuits habituels de diffusion et de production, qui manquent encore à notre goût de diversité. Cette année encore, on a donc 6 finalistes : Al Alhareen, un rappeur palestinien accompagné de la flûtiste franco-syrienne Naïssam Jalal, Chekidjy, un groupe d’Occitanie qui revisite la tradition des musiques ottomanes, Dafné Kritharas, chanteuse de Seine-Saint-Denis, qui s’immerge dans la tradition du Rebetiko, ces chants de taverne du Pyrrhée, Kandy Guira, une chanteuse rock ivoirienne, la Parranda Lacruz, des chanteuses franco-vénézuéliennes et Sissy Zhou, qui remet au goût du jour un instrument traditionnel chinois, le guzheng, une cithare de très grande taille (par ordre d’apparition sur la photo) Les trois lauréats, qui seront connus le 10 novembre, bénéficieront pendant un an d’un accompagnement à la production.
Enfin, chose assez rare pour être soulignée, vous proposez le 8 novembre, une date commune avec Banlieues Bleues, autre festival emblématique du département qui, lui, n’a pu se tenir…
Oui, on a décidé de programmer ensemble le groupe Arat Kilo avec Exilians en première partie, au Pôle Orgemont d’Epinay. Arat Kilo, c’est de l’éthio-jazz, autrement dit du jazz éthiopien qui vient se combiner à d’autres influences comme la soul ou l’afrobeat. Ce concert résume à mon avis assez bien cette année si particulière sur le plan culturel : beaucoup de déceptions, voire davantage, mais de la solidarité à revendre.
Propos recueillis par Christophe Lehousse
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