Lutte contre les violences

Edouard Durand : "un partenariat extrêmement étroit" avec l’Observatoire

Très impliqué, ce juge pour enfants au Tribunal de grande instance de Bobigny nous raconte ses liens avec l’Observatoire départemental des violences envers les femmes.

En tant que juge pour enfants du Tribunal de Bobigny, vous travaillez avec l’Observatoire départemental des violences envers les femmes. Peut-on parler d’un partenariat avec le Département de la Seine-Saint-Denis ?

Entre le Conseil départemental, l’Observatoire des violences faites aux femmes et le Tribunal de Grande Instance il y a un partenariat extrêmement étroit et depuis de nombreuses années. L’un des marqueurs très fort de ce territoire c’est la capacité qu’ont eu des personnes à s’engager dans la durée pour la protection des femmes victimes de violences. L’ordonnance de protection, le téléphone grand danger, la mesure d’accompagnement protégé, le protocole féminicide, l’espace de rencontres protégées, le protocole de lutte contre les mariages forcés et contre les mutilations sexuelles et féminines n’auraient pas pu être créés sans le génie d’Ernestine Ronai, sans l’engagement du Conseil départemental, et sans l’engagement du Tribunal de Grande Instance quelque soient les magistrats qui se sont succédé depuis maintenant plus de 10 ans.

Vous avez hérité de ce partenariat ?
Je bénéficie de ce qui a été créé avant mon arrivée. Ce partenariat résulte de savoirs très clairs et très justes que personne ne peut, seul, protéger une femme ou des enfants victimes de violences. Pour qu’il y ait une protection réelle, efficace et durable il faut que tous les professionnels concernés s’engagent ensemble dans la durée. Un juge des enfants, seul, ne peut protéger des enfants. Un policier non plus. Une assistante sociale de commissariat non plus. C’est par le partenariat qu’on peut accompagner une personne dans les questions qu’elle rencontre : le logement, la justice, le soin, la protection des enfants. Ces problèmes impliquent des professionnels différents. Ce partenariat vient dire que nul n’est sauveur mais chacun peut contribuer à ce qu’une femme victime de violences soit protégée et sujet de protection de ses enfants.

Est-ce que ce partenariat peut s’apparenter à une chaine ?
La métaphore est juste car la chaîne c’est la succession des interventions et leur cohérence. C’est aussi la solidité de la chaîne. L’égale solidité de tous les professionnels engagés. Ici au tribunal on va pouvoir traiter certains aspects : la sanction : la réponse pénale. Car d’abord les violences conjugales sont une infraction. Et la protection des victimes par la mise à l’écart du violent. Le juge aux affaires familiales va traiter la séparation. Et en même temps la protection des enfants, là c’est moi qui interviens.

Est-ce un partenariat répandu en France ?

J’ai été magistrat dans six juridictions. C’est inédit ce que réalise l’observatoire ici, ce niveau d’expertise, d’engagement et de réalisation et d’efficacité dans la réalisation et la durée. Et c’est inédit aussi cette capacité de partenariat. Ça montre à tous les professionnels que c’est possible de faire.

Pourquoi ça marche ici aussi bien ?
Ça tient à l’expertise et à l’engagement de l’équipe de l’Observatoire, à l’engagement du Conseil Départemental et de son président et à l’engagement des autres participants, et cela dans la durée. L’idée d’avoir fait des protocoles. Cela permet que cet engagement dans la durée ne soit pas lié seulement à la présence des personnes.

Vous êtes l’un des 15 juges pour enfants au Tribunal de Bobigny et le plus impliqué avec l’Observatoire. Pourquoi ?
Au fil des années avec Ernestine Ronai nous avons noué des liens de travail extrêmement étroits avant même que je sois juge des enfants ici : écriture de livres, colloque, formation, du Haut Conseil à l’égalité, de politique publique. Et puis ensuite je suis devenu juge des enfants au tribunal de Bobigny. Le travail s’est développé autrement. On s’est encore plus rapprochés. Cela ne veut pas dire que les deux aspects se confondent.

Qu’est-ce qui pourrait vous faire arrêter d’être juge des enfants ?
Je l’ignore. Je crois que c’est ma vocation. Je n’ai pas le désir de faire autre chose. Quand j’ai temporairement arrêté d’exercer cette fonction -pour être professeur à l’école nationale de la magistrature- cela m’a manqué et je me vivais comme un juge des enfants qui enseigne. Mais cela m’a permis de faire une respiration par rapport à la difficulté de la tâche d’entre juge des enfants. Je ne dis pas que ce moment n’arrivera pas. Mais je ne le souhaite pas. Il y a beaucoup de raisons d’arrêter de faire ces métiers-là mais il y a aussi régulièrement quelques raisons de continuer. Quand on voit la capacité d’invention de l’observatoire, c’est une très grande raison de continuer. Là on voit que c’est en mouvement et à plusieurs qu’on peut porter.

Le docteur Denis Mukwege vient d’être nommé prix Nobel de la paix. Qu’est-ce que cela vous fait ?

Le matin où j’ai entendu cette nouvelle, cela m’a rempli de joie. Une émotion très forte et ça m’a replongé dans ce jour où il est venu aux rencontres de l’Observatoire.

C’est une reconnaissance des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants.
Ce prix Nobel de la paix c’est la reconnaissance de l’universalité de cette violence sexuée qu’est la violence faite aux femmes, des mutilations sexuelles féminines. C’est la reconnaissance du devoir de la société de les protéger. Et cela s’inscrit dans un contexte de prise de conscience collective de l’ampleur et de la gravité des violences faites aux femmes. Car ce que Denis Mukwege incarne c’est un courage personnel et collectif face à des situations d’horreur -le viol comme crime de guerre- et en même temps une capacité de protection et de réparation c’est pour cela que cela donne beaucoup d’espoir.

C’est effrayant cette universalité des violences faites aux femmes...
Il y a un continuum universel des violences faites aux femmes : du crime de guerre, aux violences conjugales à l’outrage sexiste dans l’espace public. Ici en délinquance des enfants, 99 % des enfants délinquants sont des garçons. Cela ne veut pas dire que tous les garçons sont délinquants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a que les garçons qui sont délinquants. Aux enfants poursuivis pour violence, je leur dis que la force : c’est de se maitriser. Se laisser dominer par ses pulsions violentes : c’est la faiblesse.

Il y a ce chiffre terrible : 70 % des enfants délinquants ont été victimes de violences conjugales.
L’Observatoire s’intéresse énormément à la protection des enfants victimes de ce genre de violence, je participe aussi à ce groupe de travail. C’est passionnant car il réunit tous les professionnels concernés par la protection de l’enfance sur le département : l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois, les services de PMI, l’Education nationale, les associations, le Parquet, les juges aux affaires familiales.

Quelles sont selon vous les trois plus grandes qualités humaines pour être juge ?
Des qualités que j’espère acquérir. Les nommer ne veut pas dire que je les possède, évidemment. Je dirai l’humilité, le courage et la compassion. L’humilité parce qu’on a beau juger la vie de ses semblables, on n’est pas tout puissant et on ne doit pas être dans le pouvoir avec les gens. Le courage parce qu’il faut parfois forcer sa nature pour tenir une audience, étudier, et prendre des décisions qui peuvent faire souffrir dans l’immédiat les personnes auxquelles elles s’appliquent. Et la compassion parce qu’il ne faut pas se fermer à la souffrance vécue par les autres : un enfant qui souffre, une femme victime de violences. Il faut rester ouvert.

Photos : Bruno Lévy

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