Festival Musique Saint-Denis

Eden Fight, le soft power du reggae

Cette année, le festival Villes des musiques du monde nous emmène sur les îles. L’occasion de présenter le chanteur de reggae guadeloupéen Eden Fight, programmé le 10 novembre. Ce chantre du métissage, dont la douce voix contraste avec le nom belliqueux, sera en terrain connu puisqu’il est aussi professeur de design en Seine-Saint-Denis.

« Je trouve important qu’on soit dans une cohérence. On ne peut pas chanter quelque chose qu’on ne vit pas. Par exemple, je ne vais pas écrire : « pour toi, je décrocherais la lune », car je ne peux pas le faire ». Tout Eden Fight tient dans ces quelques mots. Doux mais ferme. Eden mais Fight. De sa voix posée, capable de monter dans des aigus insoupçonnés quand il est devant un micro, ce chanteur de reggae, qui se produira au festival Villes des musiques du monde le 10 novembre, nous fait découvrir son monde.
Celui, métissé, d’une musique aux influences multiples.

Né à Pointe-à-Pitre, biberonné aux références d’un oncle amoureux de reggae, de salsa ou de zouk, Eden Fight alias Bruno Gripacus jongle entre les styles. Son dernier album en date, « Reggaevolution » a carrément érigé ce mélange en concept, mariant le reggae à la pop, au funk ou au mbalax, une musique sénégalaise. « Je trouve ça intéressant de partir de l’existant et d’arriver par le métissage à quelque chose de neuf », dit-il doucement.

Le reggae, Eden Fight y est arrivé via le rap, commencé à 13 ans. « Avec les copains, autour de Pointe-à-Pitre, on allait de soundsystem en soundsystem et on découvrait des chanteurs qui donnaient à réfléchir », se souvient celui qui dit être venu au reggae « par Peter Tosh puis par la vague waterhouse (Jamie Bolo, Junior Reid, Michael Rose). C’est le côté Fight… « Par la suite, à cet aspect texte conscient, j’ai rajouté de la douceur dans les mélodies, pour apaiser tout ça » C’est le côté Eden...

Niveau textes, ce serait inconcevable pour Eden Fight de ne pas alterner entre le français, l’anglais et le créole. Reprenant ainsi le flambeau d’un autre de ses grands oncles, Casimir Létang, poète qui militait déjà sur Radio Guadeloupe pour que le créole soit reconnu langue officielle.

Sur son dernier album, son titre « Retour au pays natal », emprunté à Aimé Césaire, encourage ainsi les jeunes Antillais qui viennent en métropole à ne pas lâcher, « même si ça peut parfois être difficile ». « Le plus important, c’est de construire quelque chose, ici ou là-bas », assure celui qui a rejoint l’Hexagone après son bac en arts appliqués. « Initialement, je voulais devenir architecte, mais on m’a plutôt conseillé de faire des lettres, à cause de mon niveau en maths. Mais moi je ne voulais pas. Alors je me suis renseigné et je suis resté fidèle à mon amour du dessin en devenant prof d’arts appliqués » Direction Strasbourg, où il terminera ses études et enseignera sa matière avant d’être nommé à Saint-Denis, au lycée Bartholdi.

JPEG - 54.7 kio

Depuis 8 ans, Bruno Gripacus enseigne donc sa passion du dessin et du graphisme à de jeunes Dionysiens. « Je m’attache à leur transmettre une culture générale et une ouverture d’esprit, à leur faire comprendre les codes aussi, puisqu’à travers la mode, la pub, ce sont des messages subtils qui passent », explique ce prof de bac pro métiers de la mode et du vêtement. Il lui arrive aussi d’aider de ci de là certains jeunes qui veulent se lancer dans la musique ou l’écriture. « Certains sont vraiment doués, il faut juste qu’ils persévèrent », dit celui qui a aussi dans l’idée de tourner prochainement un clip avec ses élèves. Un seul regret peut-être : que la notion de groupe propre à la musique se soit un peu perdue chez la jeune génération, ce qu’il décrit d’ailleurs dans sa chanson Sinsemilia. « A mon époque, on se lançait des défis entre crews, des battles collectives, on était à fond. Aujourd’hui, j’ai un peu l’impression que c’est du chacun pour soi ». Mais peut-être appelle-t-on tout simplement ça vieillir...

Une chanson sur l’enseignement ou la banlieue, territoire de métissage ? Oui, il pourrait y songer, pourquoi pas. « Le 93, je trouve que ça bouge bien. C’est un département riche de sa diversité, de son métissage, ce qui se retrouve dans les propositions culturelles. A Saint-Denis par exemple, il se passe énormément de choses comparé à Garges (lès Gonesse), où j’ai aussi travaillé », souligne-t-il.

La preuve par l’exemple puisqu’en à peine un quart d’heure de séance photo, Bruno Gripacus se fait alpaguer par trois curieux de passage. Parmi eux : Sébastien Da Cruz, l’auteur de la fresque colorée devant laquelle le musicien pose, passage Haguette, à deux pas du marché de Saint-Denis. « C’est un graff que j’ai fait pour le collectif Haguette, qui a créé le jardin partagé qui se trouve juste derrière et qui défend l’idée de construire la ville en commun », commente l’artiste peintre. Et les deux d’échanger leurs coordonnées. Il y a des jours comme ça où tout est facile, où l’on se sent tous frères et où l’envie vous prend de siffloter. « What a glory, what a glory, I’m alive », chanterait Eden Fight.

 Eden Fight est programmé le 10 novembre à l’Embarcadère d’Aubervilliers, en première partie de l’attelage formé par le chanteur de reggae jamaïcain Winston McAnuff et le pianiste français Fixi.

Christophe Lehousse
Photos : @Bruno Lévy

Festival Villes des musiques du monde : les îles à tire d’ailes

Pour sa 21e édition, le festival Villes des musiques du monde, du 12 octobre au 11 novembre, appareille pour les îles. Pour son ouverture, cette réunion musicale se concentrera sur l’île... de la Réunion autour du chanteur Jean-Didier Hoareau. Lui et ses invités investiront le Fort d’Aubervilliers et le théâtre équestre Zingaro, transformé pour l’occasion en grand marché des îles. Le Carib’Islander de la compagnie VMM fera ensuite halte en Martinique (Malavoi), en Guadeloupe (7Sonato), à Cuba (Los rumberos de Cuba), mais aussi en Nouvelle-Calédonie (Paul Wamo, lauréat du premsier prix des Musiques d’ici lancé en 2017 par le festival), au Cap Vert (Teofilo Chantre) ou encore en Ecosse (Irma). Le programme complet est à retrouver sur http://www.villesdesmusiquesdumonde.com tout comme la play-list du festival.

Dans l'actualité