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Du Lendit aux rues du Landy

Pour les habitant·e·s d’Aubervilliers, Saint-Denis, Saint-Ouen ou Clichy-la-Garenne dans le 92, la rue du Landy est aussi familière qu’incontournable sur une carte de leur ville. Mais avant d’être une artère qui parcourt leur commune, le Lendit devenu Landit puis Landy fut un lieu d’une importance capitale à l’ère gauloise, pendant l’occupation romaine et sous les Rois de France au Moyen Âge.

La foire du Lendit était célèbre dans toute l’Europe. A son apogée au Moyen Âge, plus de 1 000 commerçants s’y rassemblaient tous les ans en juin dans des loges aménagées, gérées par l’abbaye de Saint-Denis qui percevait les taxes. Les produits-phares qui en faisaient sa renommée étaient le parchemin et le vélin, importés souvent d’Orient. A Saint-Denis, outre celle du Landy, plusieurs rues récentes la commémorent : la rue du Parchemin ou la rue des Drapiers qui rappelle la présence de cette importante corporation lors de la foire. La rue Cristino-Garcia s’appelait jusqu’en 1946 rue de la Justice en référence aux juges qui officiaient ; ils disposaient même d’une prison sur place !

Le lieu consacré, au centre de la Gaule
Mais cette fameuse foire qui a animé la grande plaine de la Chapelle (aux portes du Paris actuel) jusqu’au centre de Saint-Denis pendant des siècles n’est pas née de nulle part, du jour au lendemain.

L’historienne Anne Lombard-Jourdan dans son ouvrage, "Montjoie et saint Denis ! Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis", remonte le temps pour nous. Elle localise dans la plaine du Lendit "le lieu consacré, au centre de la Gaule" décrit par Jules César dans ses mémoires. Elle explique comment ce sanctuaire où s’assemblaient les druides gaulois se développa autour de la "Montjoie", un monticule, tombe d’un ancêtre héroïsé, devenu protecteur du pays.

Dans le but de masquer ce lieu de culte païen, les premiers Chrétiens situèrent à la "Montjoie "le martyre de saint Denis. Sainte Geneviève fit bâtir à cet endroit la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint ainsi l’équivalent et le substitut du terme "Protège-Pays" et rejoignit "Munjoie" dans l’appel des guerriers en détresse.

Aujourd’hui ne subsiste de ce lieu de culte qu’un quartier à La Plaine Saint-Denis, illustration de la mutation complète de ce territoire, passé d’une friche industrielle à la fin des années 1980 à un lieu de vie mixte mêlant bureaux, équipements et logements.

Ainsi à l’époque gauloise, les célébrations religieuses étaient doublées d’assemblées où étaient discutées des décisions politiques, juridiques et elles s’accompagnaient toujours d’échanges commerciaux. Lors de ces grands déploiements de foules d’une durée de plusieurs jours, il fallait de quoi les nourrir, les abreuver et les marchands y trouvaient leur profit. Voilà comment les célèbres foires médiévales de Saint-Denis et du Lendit furent les prolongements de ces rassemblements dont l’abbaye finit, au fil du temps, par capter l’organisation, la surveillance et les bénéfices.

L’orthographe du Lendit, Landit ou Landy ?
Pour l’origine du vocable Landy, Anne Lombard-Jourdan nous apprend que Lendit vient du nom "Endit" puis par agglutination de l’article, "Lendit". Il fut donné au "Champ" (Campus) - ou à la "Plaine" (Platea) situé entre le Pas de la Chapelle et Saint-Denis. Il aurait commencé à être employé pour signifier un lieu et un jour choisi et indiqué pour que les peuples puissent s’y assembler et faire des actes de religion ou de commerce ou les deux ensemble. L’expression Indictum encore plus ancienne que Lendit provient de l’ère gauloise, Indictum désignant une assemblée tenue en un temps et un lieu déterminés pour y traiter des affaires religieuses, judiciaires, militaires ou commerciales. D’autres "lendits" que celui de la Plaine Saint-Denis actuel annexés par des établissements ecclésiastiques étaient aussi par leurs caractéristiques des survivances de vieux rendez-vous gaulois à la fois religieux et marchands et se tenait à des emplacements marqués dès avant la conquête romaine.

Le champ du Lendit sur la route de l’étain
Géographiquement ce qu’on appelait au Moyen Âge la "Plaine" (Platea) ou le "Champ du Lendit" (Campus Indicti) correspondait à peu près à l’espace compris entre au sud, les hauteurs de Montmartre et de Belleville séparées par le col de la Chapelle, et au nord, la basse vallée du Croult (affluent droit de la Seine aujourd’hui couvert et situé dans les terres de Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise actuels). A l’époque quaternaire, la Marne se frayait un passage depuis Chelles par Gagny et Bondy et confluait à la boucle de la Seine près de Saint-Denis. La plaine du Lendit s’ouvrait largement sur une partie du méandre de la Seine. A l’époque carolingienne, les textes insistent sur la navigation commerciale et l’approvisionnement par voie fluviale de la foire de Saint-Denis en octobre et celle du Lendit en juin.

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Étendue bien cultivée et plaisante aux regards, la Plaine Saint-Denis était un important lieu de passage. La grande artère qui, de tout temps, servit à la circulation du sud au nord, coupait littéralement l’espace en deux. Ancienne piste préhistorique, jadis portion de la route de l’étain par où le minerai des îles Cassitérides (situées en Grande-Bretagne) parvenait aux bords de la Méditerranée, voie d’accès au sanctuaire central des Gaules et à ses tumultueuses assemblées communautaires, ligne droite des déambulations légendaires de Denis, la route continua à être animée d’une circulation intense dans les deux sens jusqu’à nos jours narre encore Anne Lombard-Jourdan.

Au Moyen Âge entre la capitale et la plus prestigieuse des abbayes, on l’appelait "Estrée saint Denis (strata sancti Dionysii), "chemin ferré" ou "grand chemin pavé". Elle était parcourue par les pèlerins et les fidèles, qui allaient faire leurs dévotions auprès des reliques des saints ou demander une guérison, et par les voyageurs qui, venus jusqu’à Paris, ne manquaient pas de faire le déplacement de Saint-Denis pour y admirer les richesses et les curiosités du Trésor et visiter les tombeaux des Rois de France.

Le tronçon de route qui assurait les rapports quotidiens et constants donnait aussi accès à l’éventail des voies qui, au-delà de Saint-Denis, s’ouvrait vers les côtes de la Manche et de la mer du Nord. La circulation était à la fois locale et lointaine et revêtait une importance considérable.

La Plaine, sur la grande route préhistorique du commerce de l’étain, apparaît comme un site prédestiné par la géographie et choisi de bonne heure par les hommes pour s’y rencontrer afin d’y célébrer le culte de leurs dieux, d’y prendre des décisions et donc d’y échanger leurs produits.

Du Lendit aux Jeux
Son rayonnement historique, géographique, religieux ou commercial tombé dans l’oubli, le Landy résonne encore aujourd’hui par des mots du quotidien comme le nom des arrêts de bus "Landy-Jaurès", "Landy-Ornano", "Landy-Pleyel", "Landy-Fuitiers"... Et en 2024, à quelques lancés de javelot de la rue du Landy à Saint-Ouen, se tiendra un autre genre de gigantesque foire internationale, celle du village des athlètes de la fête du sport mondial : les Jeux olympiques et paralympiques !

L’association de la Foire du Landy organise chaque année une version moderne de la foire dans le quartier du Vieux-Saint-Ouen, non loin de la longue rue du Landy qui part d’Aubervilliers en passant par Saint-Denis pour s’achever sur les quais de la Seine à Saint-Ouen. Cet événement culturel avec artistes, marché de producteurs et d’artisans a pour objectif d’entretenir la convivialité et la mémoire. En 2020, elle se tiendra le 27 juin de 14h à minuit. Rendez-vous sur la place de l’Abbé-Grégoire pour profiter de ces festivités gratuites et ouvertes à tou·te·s ! En savoir plus : http://www.lafoiredulandy.fr/
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Iconographie :
Estampe La foire du Landit à Saint-Denis issue de la collection Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, cote 6FI/393.

Carte de la route de l’étain issue du site internet le l’association de la Foire du Landy. www.lafoiredulandy.fr

Bibliographie :
"Montjoie et saint Denis !" Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, par Anne Lombard-Jourdan, éditions Presses du CNRS.

La Plaine Saint-Denis, deux mille ans d’histoire, par Anne Lombard-Jourdan, CNRS éditions.

La Plaine d’hier à aujourd’hui. Mémoire vivante de la Plaine par Jérôme Baconin, Jean-Jacques Clément et Jacques Grossard, Nouvelles Éditions Sutton.

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C’est en 1556 que la foire du Lendit perdit de son importance quand elle fut transférée à l’intérieur même de la ville de Saint-Denis (place Pannetière devenue place Jean-Jaurès) : elle subsista comme foire locale, puis un marché aux moutons, puis un simple marché.

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