Dinos, ses punchlines font mouche
Le rappeur originaire de La Courneuve revient en force avec un troisième album, Stamina*, qui, fait rare, semble faire l’unanimité auprès du public et de la critique. Rencontre à l’espace jeunesse Guy-Môquet, un lieu de création artistique où, pour lui, tout a commencé.
Tout un symbole. Pour ce portrait, il aurait pu nous convier dans un studio d’enregistrement ou bien dans les locaux de sa maison de disque. Non, Jules Jomby, alias Dinos, nous reçoit à la Maison du peuple Guy Môquet à La Courneuve, un endroit qui a beaucoup compté pour lui plus jeune et où il revient « de temps en temps » avec toujours autant de plaisir. « Aujourd’hui, je suis venu par amitié pour des jeunes qui fréquentent ce lieu et qui, dans le cadre d’une émission qu’ils préparaient, souhaitaient m’interviewer », raconte le rappeur. Dans cet espace jeunesse, des animateurs spécialisés dans différentes disciplines artistiques (musique, chant, danse, écriture) assurent des ateliers et accompagnent les jeunes dans l’élaboration et la réalisation de leurs projets artistiques promis ensuite à être présentés lors de manifestations locales. « Entre les sons que j’ai enregistrés, les clips que j’ai tournés et les concerts que j’ai donnés, j’ai passé beaucoup de temps ici. J’y ai naturellement gardé de grandes attaches », confie Dinos qui, en témoignent les nombreux selfies auxquels il se soumet sitôt l’interview achevée, jouit à l’heure actuelle d’une cote de popularité qui ne cesse de grimper.
Car, si Dinos n’est pas un débutant dans son métier – à 27 ans, cela fait déjà une dizaine d’années qu’il sévit dans le milieu du rap -, sa carrière connaît un nouveau souffle depuis trois ans et autant d’albums studio. Après "Imany" (2018) et "Taciturne" (2019), l’artiste a donné naissance en toute fin d’année dernière à "Stamina". Un disque qui a mis la presse en émoi. Pour Le Monde, « Stamina est un des meilleurs disques de rap français de l’année 2020 ». Télérama lui emboîte le pas en ajoutant qu’avec ce troisième album, « le rappeur de La Courneuve débarque tranquillement dans la cour des grands. » Même France Culture y va de son adoubement, précisant que dans son dernier opus, l’artiste « mêle le rap fougueux de ses débuts tout en conservant la sensibilité de ses premiers albums. » Non content d’avoir conquis, dès ses débuts, les fanzines de rap, Jules Jomby touche désormais aussi les cœurs de la presse généraliste et intello. « Cet accueil, je l’avais déjà reçu au moment de la sortie de Taciturne, fait justement remarquer le Courneuvien. Mais ça fait toujours plaisir car ça prouve que je confirme, que je suis sur la bonne voie. Avec Stamina, la vraie différence se situe au niveau des ventes. J’ai réalisé un démarrage canon. » En effet, début décembre, soit après une semaine d’exploitation, le dernier opus de Dinos s’était écoulé à 23 236 exemplaires. Un excellent score qui confirme l’évolution du rappeur : ses deux premiers albums s’étaient respectivement vendus à 3 131 et 7 815 exemplaires.
Endurance et persévérance
Quand on lui demande si avec ce troisième opus, il a atteint un certain niveau de maturité, il réfléchit puis dégaine : « Probablement mais je considère qu’il y a plusieurs échelons de maturité. Par exemple, le jour de tes 30 ans, tu penses arriver à un âge de raison pour constater une fois que tu as 40 ans que tu n’étais qu’un petit trou du c… dix ans auparavant. Donc, pour résumer, cet album représente une première phase de mon évolution musicale qui en amènera d’autres forcément. » Dinos s’interdit de se reposer sur ses lauriers. « Aller de l’avant », « ne jamais s’arrêter » (trois albums en trois ans, rappelons-le) sont désormais ses mantras. Pas un hasard donc si sa dernière œuvre s’intitule Stamina, qui, traduit de l’anglais, veut dire « endurance », « persévérance ». « Ce titre me résume bien, concède le jeune homme. Pour Stamina, même si c’est un album que j’ai réalisé à l’instinct - car c’est comme ça que je fonctionne- je me suis aussi beaucoup investi, j’ai consacré pas mal d’énergie. Avec ce disque, l’objectif était de connaître un tournant commercial. Le défi était de faire encore mieux que les précédents. » Pour ce faire, il s’est entouré de grands noms du rap français comme Nekfeu, Leto, Zikxo Da Uzi ou encore Tayc. Sur "93 mesures", qui clôt magnifiquement l’album, il est accompagné par le pianiste à succès Sofiane Pamart. Et rappelle au passage qu’il reste un maître incontesté de la punchline (son ancien nom de scène était Dinos Punchlinovic) :
Avant, j’croyais qu’j’priais puis, j’ai grandi et j’ai tout compris que tout c’que j’fais, c’est réciter des phrases que j’ai appris par cœur.
Mon style est bipolaire, mon stylo bille pleure,
J’ai l’âge de la raison, j’ai envie d’respect, j’ai plus envie d’plaire.
Jules Jomby est né en 1993 à Douala, capitale économique du Cameroun. Il a 4 ans quand il arrive en France, à La Courneuve, cité des 4 000. « C’est un quartier qui a une réputation sulfureuse, qui attire régulièrement les caméras de télévision mais j’en garde de bons souvenirs. J’ai conservé des liens solides avec mes amis de l’époque. Le rap, le foot, les codes… C’est à La Courneuve que j’ai tout appris. Ma famille y vit encore, je reviens ici dès que j’ai du temps. Cette ville, j’ai l’impression de ne l’avoir jamais quittée. Elle et moi, c’est pour toujours. » Si son quartier est un thème récurrent dans ses textes (Viens dans ma ville, tout le monde tire, Viens dans mon block, tout le monde deale, Viens dans mon monde, tout le monde meurt, Viens dans mon cœur, tout le monde pleure, scande-t-il dans le titre Césaire), Dinos ne revendique pas faire un rap militant : « Dans ma musique, je retranscris mes pensées, mes émotions, mes opinions. Je ne suis pas dans un combat politique. Après, l’impact que peuvent avoir mes paroles, ça, je ne le maîtrise pas. »
« Je refuse de pleurer sur mon sort »
Dans son dernier album, la voix grave du rappeur est posée, les textes sont ciselés et les rimes bien senties. On se rappelle alors avoir lu dans une interview récemment accordée aux Inrocks que l’une des références de Dinos est MC Solaar. « Oui, c’est vrai, lui parmi d’autres, confirme l’intéressé. Aujourd’hui, il y a aussi Nekfeu (qu’on retrouve en featuring sur le titre Moins un, ndlr), Damso, Booba, Kalash Criminel (lui aussi originaire de Seine-Saint-Denis, il a grandi à Sevran, ndlr), Jay-Z ou encore Jacques Brel. J’écoute tout sorte de musique… En ce moment beaucoup en provenance du Cameroun, mon pays d’origine. »
Sur la crise sanitaire, qui exacerbe la situation de grande précarité de bon nombre de personnes, parmi lesquels les artistes, il a un avis tranché. « Les artistes sont en grande souffrance mais les restaurateurs et, dans un autre registre, les personnels hospitaliers sont aussi en grande détresse. En ce qui me concerne, je refuse de pleurer sur mon sort. Je suis en bonne santé, j’ai un disque qui a connu un très bon départ et je viens de lancer ma propre marque de vêtements, Namaste Club. Il y a pire. » 2021 sera l’année Dinos ou ne sera pas.
Grégoire Remund
Photos : ©Franck Rondot
*Stamina, un CD SPKTQLR/Universal Music
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