Numérique

Décollage réussi pour le MediaLab93

Après 11 mois d’existence, cet incubateur médiatique et culturel installé dans les anciens Magasins généraux à Pantin a réussi son pari : faire entendre la voix des quartiers populaires et travailler au vivre-ensemble. REPORTAGE

« Au MediaLab, on essaie de provoquer un bouillonnement entre des milieux sociaux et des cultures différentes pour faire ce dont beaucoup parlent mais que peu pratiquent : le vivre-ensemble. » Erwan Ruty, le directeur du MediaLab93, a le sens de la formule quand il s’agit de résumer la raison d’être de la structure. En mars dernier, cette ruche spécialisée dans les médias et la communication numérique avait fait le pari de donner une visibilité aux talents des quartiers populaires en investissant les locaux du géant BETC, dans les anciens Magasins généraux de Pantin.

Un an plus tard, le bilan est plus que positif. D’abord parce que l’ensemble des occupants de ce « laboratoire » médiatique semble y avoir trouvé sa place. Un rapide passage au sein de cet open-space moderne situé au 4e étage du paquebot BETC suffit déjà à nous faire une impression sur l’ambiance des lieux : studieuse et bienveillante. Ce pourrait d’ailleurs être deux adjectifs proposés par les « post-its positifs » du tableau de liège affiché par « Bonjour Pantin », un site d’informations sur la ville « incubé » au MediaLab.

Un peu plus loin, on tombe sur le drapeau étoilé de l’Europe. « Nous, on a été parmi les premiers à s’installer ici. Et on s’y sent vraiment bien. Parler d’Europe ici fait sens », estime Aline Robert, rédactrice en chef d’Euractiv.fr, un des 8 résidents permanents de l’incubateur. Ce site d’informations dédié à l’actualité européenne a fait le choix en mars dernier de quitter ses bureaux de la rue du Faubourg Saint-Honoré, près de l’Elysée, pour venir s’installer au MediaLab 93.
« On trouvait ça logique d’aller parler d’Europe à d’autres gens que des europhiles convaincus. En effet, peut-être qu’un des problèmes de l’Europe, c’est que les citoyens lambda qui sont aussi concernés par ces politiques n’en entendent pas parler », poursuivent Aline Robert et Cécile Barbière, journaliste à Euractiv. Au-delà de son travail d’information quotidien, le site web a donc décidé de partir à la rencontre des habitants du 93, pour connaître leurs attentes vis-à-vis des institutions européennes ou tout au moins créer du débat. Cette année, deux projets sont ainsi en cours : une interview filmée réalisée par des terminales du lycée Simone-Weil de Pantin avec l’eurodéputé socialiste Guillaume Balas, et un reportage vidéo sur le trafic d’espèces protégées au sein de l’espace européen par des étudiants de Paris-8 Saint-Denis.

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Mais la force du MediaLab, c’est aussi d’associer des structures déjà pérennes à des associations ou même des indépendants plus isolés. « A côté de notre volonté de faire sortir de l’anonymat des acteurs des quartiers populaires, on tenait fortement à cette idée : pouvoir associer à notre projet des petites structures ayant un lien avec le territoire ou des gens précaires, dans un milieu- la presse, la communication- où on sait que la précarité est forte », souligne le directeur Erwan Ruty.

Pour favoriser le bouillonnement et les échanges qui lui sont chers, le MediaLab poursuit donc aussi une mission de formation. En partenariat avec La Ruche Paris, la structure propose des sessions de développement ou de perfectionnement d’une durée de trois mois à de jeunes acteurs du territoire. C’est le cas de l’association Ghett’Up, qui vise à valoriser l’image des quartiers populaires à travers des exemples de réussite trop peu connus.
Ghett’Up, fondée par la Stanoise Inès Seddiki, a suivi de septembre à décembre une formation qui doit lui permettre d’étoffer un projet audiovisuel. Peut-on parler d’un effet MediaLab ? « Il n’y a jamais trop d’acteurs qui prennent en main ces sujets de représentation des quartiers populaires, affirme Inès Seddiki. Mais eux le font intelligemment en veillant toujours à brasser les publics. Ainsi, même si l’idée fondamentale est d’accompagner les porteurs de projets du territoire, il y a toujours cette envie de mélanger les mondes, entre CSP+ et milieux populaires. »

Romain Bourceau, coordinateur éditorial de Sourdoreille, une plateforme web autour des musiques actuelles, retient quant à lui le réseau et l’émulation propres au MediaLab. Voilà deux mois que cette Scop de 8 permanents et 14 free-lance a quitté la salle de Mains d’oeuvres à Saint-Ouen pour emménager dans les locaux en tant que « co-workers », autrement dit en tant que simples locataires. Mais cette proximité avec les autres membres du Lab fait déjà beaucoup : « On aurait très bien pu être dans un appartement entre nous, mais on n’a pas voulu parce qu’ici, il y a un tissu, un réseau. Et une ouverture d’esprit : ça stimule de croiser autant de projets différents, et pas forcément attendus », souligne Romain Bourceau.

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Nouveaux venus, Ghett’Up comme Sourdoreille participent d’ailleurs déjà pleinement à la vie des lieux : en décembre, les deux entités ont chacune apporté leur savoir-faire à l’organisation d’un Tribunal des générations futures au MediaLab, qui s’était déclaré compétent pour trancher la question : « Doit-on tous être entrepreneurs pour s’en sortir ? »
Un événement tel que la structure pantinoise en organise tous les mois. « De la même manière que le but de tout le projet est de faire venir des gens des banlieues et de les faire travailler avec BETC, nous-mêmes on recrée de la mixité dans nos événements », explique encore Erwan Ruty. L’incubateur planche d’ailleurs déjà sur sa prochaine manifestation : une « game jam », autrement dit un rassemblement de développeurs informatiques et d’artistes des cultures urbaines – le réalisateur de clips William Thomas et le producteur exécutif Nabil Habassi, dirigeant de 60SFilmz, l’association faisant la promotion du graff Cultures pas sages ou encore le pratiquant de street work-out Mehrez Assas. Objectif ? Créer, en l’espace d’un seul week-end (du 9 au 11 février) un ou plusieurs jeux vidéos en rapport avec la banlieue. Le MediaLab, en tout cas, est loin d’être game over.

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