Cuisine Mode d’Emploi(s) à Clichy, la banlieue bien dans son assiette
Lundi 9 juillet, ce centre de formation co-fondé par le chef étoilé Thierry Marx a inauguré son école de Clichy-sous-Bois. Le credo de cette structure : miser sur une formation courte et pratique, pour favoriser un retour à l’emploi rapide. Reportage.
« Ça, c’est des macarons aux ganaches variées, là vous avez des financiers aux amandes et aux pistaches et là des verrines de pêches romarin. » Ilyaz Anar, originaire de Clichy et 5 semaines de formation à Cuisine Mode d’Emploi(s) (CME) au compteur, nous montre fièrement les créations qu’il a réalisées aux côtés de ses 9 confrères et consœurs.
Presque tout leur savoir-faire culinaire, les membres de cette 2e promotion (la première est déjà sortie à la mi-juin) l’ont acquis ici, au CME de Clichy-sous-Bois. Lancée par le chef étoilé Thierry Marx, cette antenne est venue grossir depuis avril dernier le maillage des 6 autres, ouvertes un peu partout en France depuis 2012 : Ménilmontant, Besançon, Villeneuve-Loubet ou encore Grigny... Avec à chaque fois les mêmes lignes directrices : une formation gratuite et compacte au grade de commis de cuisine, le tout en 11 semaines (8 semaines de formation aux 80 gestes de base de la cuisine traditionnelle, suivies de 3 semaines de stage en entreprise). Une durée spécialement calibrée pour favoriser un accès ou un retour à l’emploi rapide.
« La philosophie qui prévaut ici, c’est RER - rigueur engagement régularité, explique un Thierry Marx rompu à la présentation : Rigueur, parce qu’il en faut pour tout projet professionnel, Engagement, parce qu’ici on se moque de votre passé, seul le présent importe, et Régularité, parce que c’est un pré-requis pour tout emploi », souligne celui qui a lui-même grandi dans les quartiers populaires, à Montreuil, puis à Champigny-sur-Marne.
A Clichy comme ailleurs, il n’y a ainsi qu’un seul pré-requis : la motivation. « Lors de l’entretien de sélection, on pose évidemment aux futurs stagiaires la question de leur projet professionnel. Ça nous permet de voir comment ils se projettent dans leur habit de cuisinier, intervient Valérie Le Flem, la directrice de la nouvelle école. On s’aperçoit par exemple que beaucoup d’émissions télé font fantasmer les jeunes, alors qu’il y a quand même une grande différence avec la réalité. Dans ce cas, notre boulot est de leur remettre les pieds sur terre. Mais à l’inverse, on leur apprend surtout à ne rien s’interdire. »
Ce lundi, entre deux verrines de gambas snackées au guacamole et brunoise de légumes, le ministre de l’Economie sociale et solidaire Nicolas Hulot, accompagné d’Olivier Klein, le maire de la ville, visite les cuisines, installées dans une ancienne bibliothèque mise à disposition par la municipalité. « Quand j’ai assisté à l’inauguration de la première école à Ménilmontant, en 2012, j’étais déjà convaincu que cette école serait une excellente idée pour Clichy. Car on y apprend à vivre et construire ensemble, à croire en un projet de vie », se souvient Olivier Klein. La ville comme le Département participent dans le cadre de la politique de la ville au budget global d’environ 400 000 euros, abondé aussi par du mécénat privé (GRDF a par exemple financé le matériel de cuisson, la fondation Sofronie intervient elle aussi) et un complément grâce au restaurant d’application (voir encadré).
« Pour moi, cette formation est parfaite : elle est gratuite et elle se passe à Clichy-même. Pour moi qui rêve depuis tout petit de devenir cuisinier, c’est une vraie chance ! », relance Ilyaz, dont le but ultime serait d’ouvrir son propre restaurant « d’inspiration française, mais aussi chaldéenne » : « Avec un père turc et une mère kurde, je veux que ces influences se reflètent dans ma cuisine », détaille ce gaillard de 18 ans.
Dynamique de talents
Même espoir et même sentiment de satisfaction du côté de Marietou, elle aussi 18 ans et habitante de Clichy : « J’ai postulé ici parce que cette école bénéficie de la réputation de Thierry Marx et que c’est à mon avis un bon moyen de trouver rapidement un emploi. C’est comme un CAP cuisine, mais en 2 mois, et ça me convient très bien. », dit cette jeune femme italo-burkinabè.
La preuve que ça marche, elle est incarnée ce jour-là par Marie Duchevet, élève de la première promotion de Clichy en avril et déjà embauchée ! Originaire de Livry-Gargan, cette femme de 38 ans, diététicienne pendant plus de 10 ans, vit une reconversion professionnelle réussie : à peine sortie de Cuisine Mode d’Emploi(s), elle a été embauchée en CDI au Castor Gourmand, un restaurant gastronomique à Crémieux (Isère) dans lequel elle avait effectué son stage de 3 semaines. « Cette école, c’est vraiment un tremplin. Elle donne non seulement une formation de qualité, mais aussi un réseau. C’est précieux quand comme moi on n’est pas du milieu. », juge celle qui, à terme, se verrait bien ouvrir sa propre table, à connotation écologique.
D’ailleurs, sur la première promotion, alors que les stages de sortie viennent tout juste de s’achever, les retours sont bons : le CME Clichy peut déjà se targuer de cinq embauches, dont 2 CDI. Au niveau national, sur les 7 centres de formation réunis, le taux de retour à l’emploi est même de 94 %, dans un secteur de la restauration où chaque année, 54 000 postes sont non-pourvus. Joinville Arbens, 31 ans, n’a pas encore eu cette chance, mais il a bon espoir après être passé par cette formation. Venu prêter main forte à ses successeurs, il détaille le contenu d’une journée au CME. « A 8h, il faut être devant la cheffe en tenue. Après, on travaille sur les entrées et les plats, un peu aussi les desserts, même si on est moins formés à la pâtisserie. Debrief de la journée à 16h. C’est une journée dure, intense, mais pour ceux qui ont la motivation, ça ne va pas être fatigant… », estime celui qui veut maintenant engranger de l’expérience avant d’ouvrir sa propre affaire mixant cuisine haïtienne, américaine et française.
Le mot de la fin est pour un « rêveur », comme il se définit lui-même, Thierry Marx. « Il faut arrêter de croire qu’il y a des quartiers qui sont assignés à l’échec, ou au désordre. En Seine-Saint-Denis, mais aussi ailleurs, il y a une dynamique de talents qu’on a tendance à oublier pour toujours rabâcher les mêmes problèmes – réels ou fantasmés. Alors que ce dont les gens ont besoin ici, c’est d’être raccrochés à des dynamiques économiques, comme tout le monde. » Au terme de leurs 11 semaines de formation, Ilyaz, Marietou ou encore Marie ont maintenant envie de croquer la vie à pleines dents.
Christophe Lehousse
Photos :@Nicolas Moulard
Comme dans les 6 autres Cuisine Mode d’Emploi, la structure de Clichy est elle aussi dotée d’un restaurant d’application, ouvert deux fois par semaine. « Ça les place d’emblée dans la réalité du métier, en leur donnant la fierté de l’exercer, et ça contribue aussi aux dépenses de fonctionnement », explique Thierry Marx. Les mardi et jeudi midi, il est donc possible de venir manger sur place, pour un menu à 15 euros, café compris. La réservation est en revanche obligatoire : rue des Bleuets 06 42 40 92 23.
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