In Seine-Saint-Denis

Cheffe de chœur sans frontières

Catherine Simonpietri dirige aussi bien son chœur de professionnels Sequenza 9.3 dans une création de Thierry Escaich ou de compositeurs sud-africains, que 150 choristes amateurs pour chanter le Via Crucis de Frantz Liszt dans la basilique lors du festival de Saint-Denis. Et elle a un grand projet pour la Seine-Saint-Denis...

Pourquoi avez-vous appelé votre ensemble Sequenza 9.3 ? Est-ce à la manière de 93 NTM ?

Non, c’est simplement par honnêteté, dire d’où l’on vient. Neuf trois pour l’appartenance à un territoire et Sequenza en référence à Luciano Bério, un compositeur contemporain que j’apprécie particulièrement.

Mais il y a peu de formations musicales classiques qui revendiquent ainsi leur appartenance géographique. Et affirmer ainsi d’où l’on vient, cela veut dire quelque chose...

Ce n’est pas faux. J’ai sans doute voulu réagir face à ceux pour qui il paraît improbable qu’un ensemble de musique dite savante se situe dans le neuf trois.
Je suis très attachée à ce département, c’est lui qui m’a permis de créer cet ensemble vocal professionnel il y a vingt ans et qui nous est toujours fidèle. Et ce territoire est extrêmement vivifiant, il apporte énormément de forces vives dans les créations culturelles. Comme je veux que mon ensemble vocal soit très ouvert sur des esthétiques différentes, tout cela est logique.

Quel est votre lien avec la Seine-Saint-Denis ?

J’y suis arrivée au début des années 90, recrutée comme professeure par Marc-Olivier Dupain, alors directeur du Conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers-La Courneuve. Très vite, j’ai désiré un instrument professionnel pour faire de la création, puis un grand chœur amateur pour de la création et de la diffusion. Enfin une antenne formation de direction de chœur. Tout cela s’appelait la mission chant choral.

Avec Sequenza 9.3 vous jouez presque exclusivement des créations. Pourquoi ?

Pour faire des choses qui n’existent pas ! Et être au contact des créateurs de notre temps, quelles que soient leurs esthétiques. J’aime la connexion avec les compositeurs. Je suis corse, quand j’étais petite, près d’Ajaccio, mon père a vendu sa bergerie à Yanis Xénakis, le compositeur. Oh surprise ! Du haut de mes dix ans, je croyais que tous les compositeurs étaient morts... C’est ce qui a éveillé mon goût pour les créateurs vivants. Ensuite je suis allée à de nombreux concerts, j’ai créé des liens, j’ai suivi certains compositeurs au long cours. Pour moi, faire une création c’est bien, mais cela ne suffit pas pour cerner la pensée d’un créateur. Il faut le suivre, comprendre, cerner ses influences… Toutes ces ramifications me passionnent.

Tout cela correspond à votre intérêt pour un département où se mêlent autant de cultures…

Complètement, d’ailleurs nous avons travaillé avec des cultures aussi bien européennes qu’extra-européennes, notamment lors de notre collaboration avec le festival Africolor..

J’ai l’impression que ni frontière ni limite ne font partie de votre vocabulaire...

Oui , je crois plus à un langage universel, une culture commune. Nous avons tous les mêmes oreilles !

Ce qui m’intéresse dans votre démarche artistique, c’est cette ouverture d’esprit, cet attrait pour la culture d’où qu’elle soit, tout en revendiquant pourtant d’être d’un lieu, et en s’adressant aux sentiments que chacun de nous possède au fond de lui.

C’est tout à fait ça, vous pouvez l’écrire ! Nous développons de plus en plus de concerts participatifs, pour lutter contre la scission que la musique dite savante est en train de créer, entre ceux qui peuvent l’écouter et les autres. J’ai un chœur d’adultes amateurs dont beaucoup ne connaissent rien à la musique. Mais ils sont ô combien passionnants dans d’autres domaines ! On peut alors partager plein de choses. La musique est alors un vecteur fédérateur, de partage, qui permet de s’émerveiller ensemble. Cette musique dite savante, nous la saisissons en la chantant, la modelant.

Comment en êtes vous arrivée à former des non-musiciens ?

C’est aussi la mission d’un chef de chœur, former des choristes. Ils peuvent avoir un niveau minimaliste, à moi de les former à la musique, à la voix, au solfège...

Mais c’est une toute autre démarche que de recevoir au conservatoire des personnes désirant apprendre, et d’aller au-devant de publics éloignés de la pratique artistique comme votre action auprès des compagnons d’Emmaüs…

Oui, mais avec l’âge on se rend compte qu’un musicien est un être privilégié car son jardin secret n’est habité que de belles choses. Et notre société a des côtés terrifiants. Donc aller à la rencontre et partager une part de ce beau jardin secret empli de musique, c’est un désir qui m’est naturel, même si la mise en œuvre est compliquée.

Comment avez-vous monté les projets avec le festival de Saint-Denis ?

Cela date de quelques années ! Ils nous ont contactés pour figurer au programme. Comme nous travaillons sur la voix, il est aisé de monter des projets de sensibilisation. Je vais faire venir 150 choristes amateurs dans la basilique Saint-Denis pour chanter le Via Crucis de Frantz Liszt. Le festival a accepté immédiatement. Je voulais que ces amateurs se trouvent dans des conditions professionnelles, qu’ils chantent dans un lieu mythique.

Ces amateurs ont-ils l’habitude de chanter ?

Non pas tous, c’est un pari. Je lance des trucs, j’y crois dur comme fer, je prends des risques.

Effectivement, des amateurs dans un cadre aussi prestigieux que celui du festival de Saint-Denis, c’est risqué !

Oui, mais sans risque on n’avance pas ! Les risques sont tout de même mesurés. Le projet est sur un an, avec des interventions de chanteurs professionnels, nous répétons dans les locaux du CRR Aubervilliers- La Courneuve, avec deux pianos à queue… Ce sont des conditions optimales.

Car il y va tout de même de votre réputation de chef de chœur…

De toute façon, s’il y a un problème, quel qu’il soit, le chef est toujours responsable ! Même s’il y met tout son cœur, qu’il est très bon, si c’est raté pour une raison ou une autre, c’est lui qui sera tenu pour responsable.

En tant que chef de chœur, y a-t-il des sensations particulières à diriger l’ensemble de professionnels Sequenza 9.3. et un chœur d’amateurs ?

Ce n’est pas le même métier. La façon de travailler est très différente. Avec des professionnels, j’ai deux services pour faire une œuvre très difficile. Avec les amateurs j’ai six mois pour faire une œuvre accessible.
Les professionnels sont payés pour faire un travail. Il n’y a pas d’états d’âme, même si l’ambiance est sympathique, ce qui est très important pour moi. Avec les amateurs, je dois leur donner l’envie, leur faire surmonter les difficultés sans qu’ils puissent percevoir que c’est difficile, les séduire. Le Via Crucis de Liszt, est une œuvre lugubre. C’est le chemin de croix du Christ tout de même ! Il a fallu tout d’abord les persuader que c’est beau, ce qui n’était pas gagné ! Ça aurait été plus facile avec une petite chanson, mais ça ne m’intéresse pas. Ce que je veux, c’est partager des chefs-d’œuvre. Le chef de chœur a un rôle d’animateur, de booster : « On va y arriver ! Regardez, c’est beau ! ». Il faut également les faire rentrer dans un cadre professionnel, avec ses contraintes élémentaires. La répétition est fixée à 14h00, on commence à 14h00. Et ce cadrage leur plaît beaucoup, il n’est pas contraignant. Ils trouvent une sécurité dans cette rigueur.
Ce sont donc deux métiers différents, mais l’ambition du chef est la même. c’est de faire du mieux possible.

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Pensez-vous que votre action de créatrice et de formatrice contribue à changer l’image de ce département ?

Incontestablement oui. Souvent dans des festivals prestigieux, les gens sont surpris, ils n’imaginaient pas qu’une telle formation puisse venir de Seine-Saint-Denis.

C’est ce qui vous a amenée à devenir ambassadrice du In Seine-Saint-Denis ?

Oui, pour une part. Et aussi parce que lorsque je suis arrivée à Aubervilliers, j’ai découvert des trésors : le regard d’un gamin à la voix superbe qui s’éveille à la musique, le brio des musiciens maliens avec lesquels j’ai travaillé lors du festival Africolor. Quelle technique ! Quelle sensibilité ! Et des concerts où le public monte sur scène pour danser, alors que nous, nous sommes d’ordinaire si « culs serrés »… Pourtant, au XIXe siècle, le public écoutait en fumant son cigare, en chantant…
Ça doit être ça aussi la musique. En 2012 j’avais fait un opéra bouffe où le public mangeait. C’était très bien ! Tous les sens étaient stimulés !

Quel projet n’avez -vous pas encore mené qui vous tiendrait à cœur ?

Je voudrais créer un hymne populaire ! J’aime les hymnes, ils m’émeuvent. La Marseillaise, c’est beau ! C’est l’appartenance, la Nation même, dire j’appartiens à l’humanité. J’ai envie de créer un hymne rassemblant toutes les cultures de la Seine-Saint-Denis. Avec plusieurs langues, plusieurs moyens d’écriture, des instruments de tous pays, qui d’ordinaire ne jouent jamais ensemble, des accents de chaque continent… Un hymne collectif dans lequel chacun dirait « je partage mon identité avec tout le monde ». Chanté par un chœur mêlant toutes les nationalités de la Seine-Saint-Denis. J’imaginerais ça pour les Jeux olympiques de 2024. Il reste six ans…

Alors, on lance un appel à toutes les bonnes volontés pour monter le projet ?

On le lance !

Vous êtes musicien, chanteur, compositeur, écrivain ou même rien de tout cela mais motivé à l’idée de participer d’une manière ou d’une autre à la création d’un hymne de la Seine-Saint-Denis à l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024, alors envoyer un message à contact@inseinesaintdenis.fr avec Hymne Seine-Saint-Denis en objet
Via Crucis
Pour assister au concert du jeudi 28 juin, Via Crucis de Frantz Liszt dirigé par Catherine Simonpietri à la basilique dans le cadre du festival de Saint-Denis, contactez reservations@festival-saint-denis.com ou 01 48 13 06 07


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