Charlotte Bravard, du guidon au volant
Arrivée chez St-Michel Auber 93 pour y terminer sa carrière de coureuse professionnelle, l’ancienne championne de France est devenue cette saison directrice sportive de l’équipe féminine. L’une des rares femmes à coacher à haut niveau... Un poste dans lequel elle se sent déjà à l’aise, même si elle reste toujours ouverte aux conseils.
« Le cycliste est encore un sport un peu machiste, mais petit à petit on se fait notre place et on prouve nos compétences. » Directrice sportive de l’équipe cycliste féminine de St-Michel Auber 93 depuis le début de saison, Charlotte Bravard roule pour la cause des femmes dans le vélo. Ainsi, elles ne sont pas légion, celles qui tiennent le volant et la radio dans la file des voitures suivant le peloton : en France, Mélanie Briot dirige au même échelon (Nationale 1) le VC Dinan chez les hommes, et la Britannique Cherie Pridham, DS d’Israël Start Up Nation, est depuis février la toute première femme à coacher au niveau World Tour (le plus haut niveau international). Petit à petit, le milieu cycliste, pas franchement réputé pour son ouverture à la parité, est donc gagné par un doux vent de changement.
Aux grandes déclarations, Charlotte Bravard préfère toutefois l’exemple. Cette force tranquille entend ainsi faire les choses sur le ton de l’évidence, en s’installant naturellement dans le paysage.
Et tant pis si pour sa première, elle n’a pas été franchement gâtée : dimanche 21 mars, le Circuit Westhoek, une course UCI dans les Flandres belges, âpre et ventée, s’est montrée impitoyable avec les « Madeleines » (comme elles se surnomment elles-mêmes par rapport à leur sponsor). Au final, elles auront toutes mis pied à terre avant la ligne, piégées pour la plupart par une grosse chute et des bordures, ces fameuses cassures du peloton pour cause de vent. « Pour nous, c’était une course de reprise, avec des équipes de niveau international pour la plupart, qui sont déjà bien dans le rythme. C’est dans l’ordre des choses... », analyse après coup la nouvelle DS, pas du genre à s’alarmer.
Océane Tessier sur le circuit Westhoek, fin mars
Le véritable objectif de cette équipe de Nationale 1 - autrement dit le troisième échelon, après les équipes World Tour et Continental - s’appelle comme toujours la Coupe de France. « C’est ça qu’on vise, en travaillant notamment notre capacité à être plus performantes sur les sprints, ce qui nous a un peu manqué au cours des années passées », relève l’ancienne championne de France 2017, qui avait ce jour-là réglé ses 4 camarades d’échappée, à Saint-Omer. Et les Madeleines ont recruté en conséquence : Valentine Fortin, pistarde de formation et qualifiée pour les prochains JO de Tokyo sur la poursuite par équipes, et Marion Colard, profil atypique car ancienne rameuse d’aviron de haut niveau...
Vista de la course
Le saut vers ce poste de directrice sportive, Charlotte l’a un peu fait naturellement. Venue chez Auber après 6 ans passés chez FDJ Nouvelle Aquitaine, la plus grosse équipe française, cette coureuse « passe-partout » de 29 ans comptait au départ prolonger quelques années. Mais sa grossesse puis le Covid l’ont amenée à réviser ses plans. « Tout ça a fait qu’il était temps pour moi de tourner la page. Je ne me voyais plus continuer sur un vélo, mais j’avais envie de rester dans cet univers. Et c’est là qu’avec Stéphane Javalet, on a eu l’idée de tenter l’expérience ». « Jaja » lui non plus n’a pas hésité à l’heure de la nommer directrice sportive, pour la 10e année d’existence de l’équipe femmes. « Vous savez, on ne met pas un accent particulier sur le fait que ce soit une femme. J’ai surtout senti en elle quelqu’un qui a la vista de la course, c’est-à-dire quelqu’un qui sent le vélo sur le plan tactique... », estime le manager de St-Michel, 28 ans d’équipe au compteur...
Peu impressionnable, celle qui suit actuellement une formation à distance pour valider son DEJEPS (Diplôme d’État Jeunesse, Education Populaire et Sport), n’a pas tremblé au moment de prendre les rênes. « Je sais que l’expérience de course, je l’ai, de par ma carrière. Avec les filles, que je connais pour la plupart de mes années vélo, ça se passe bien aussi. Ce qui me manquait le plus, c’était de savoir un peu comment ça allait se passer dans la voiture : la file à respecter, les moments où on peut rejoindre les coureuses, des choses comme ça. Du coup, comme il y a dans ma formation DEJEPS des anciens pros, comme Samuel Dumoulin ou Thomas Voeckler, j’en ai profité pour redemander certaines choses. », raconte la compagne de Baptiste Bleier, lui aussi coureur pro chez St-Michel Auber.
Nostalgique des années où elle disputait le Tour avec les « P’tits Gars », la formation aux tuniques oranges réfléchit actuellement à muscler son jeu côté féminin. Avec la renaissance du Tour de France féminin en 2022, l’avènement d’une équipe cycliste pro féminine pourrait être un bon moyen de retrouver la Grande Boucle. « Très franchement, ça ne se pose pas en ces termes-là, esquive toutefois Stéphane Javalet. On veut avant tout faire évoluer le statut de notre équipe femmes dans les années à venir. Il ne nous manque pas grand-chose, en termes de budget, pour passer de DN1 à Continental UCI. Et je trouve que ce serait assez symbolique d’avoir deux équipes hommes et femmes en Conti... »
Charlotte Bravard, qui est issue d’une famille de cyclistes – sa grande sœur Mélanie a aussi été pro, « même mes grands-parents couraient ! » - se verrait elle en tout cas bien diriger une équipe féminine sur les routes du Tour. « Mais patience, il y a d’abord cette saison à faire, et au moins une victoire individuelle à aller chercher », tempère Charlotte, qui si elle était forte dans les emballages finaux, l’est moins dans les emballements.
Photo : ©Kevin Laurier
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