Céline, parente de ses parents
De 8 à 11 millions de Français (selon les estimations) apportent au quotidien leur soutien à un proche dépendant, âgé ou malade. Alors qu’un plan de « mobilisation et de soutien des proches aidants » a été annoncé mercredi 23 octobre, nous avons rencontré l’une d’entre elles à Bondy, pour qu’elle nous raconte son vécu et ses difficultés. PORTRAIT.
« Je l’appelle l’entreprise Castaing », plaisante Céline. De fait, depuis l’AVC de son père et la découverte d’un Alzheimer précoce chez sa mère, il y a cinq ans, la quarantenaire a non seulement quitté son appartement pour venir vivre avec ses parents à Bondy, mais elle a dû également devenir une gestionnaire hors pair.
« Il faut faire les courses, le ménage, les repas - des plats adaptés au diabète de maman autant qu’au cholestérol de papa -, leurs toilettes, leur linge, etc., liste-t-elle. Nous devons aussi gérer leurs finances, leur patrimoine, les relations avec le service d’aide à domicile, l’infirmière, les médecins, l’hôpital, etc. Je cumule 10 postes ! »
Et parallèlement, même si ce n’est pas au quotidien, Céline s’occupe aussi de sa sœur (dont elle est la curatrice, et bientôt la tutrice) et de son frère, tous deux souffrant de troubles psychologiques. Comme elle le dit simplement, « je suis devenue parente de mes parents, et de mes frère et sœur ».
Des vies « en suspens »
Ses journées commencent dès 5h30, pour les soins, et se finissent vers 1h / 1h30, après avoir préparé le repas du lendemain. Le matin, elle est secondée par le service d’aide à domicile. Une fois par semaine, une infirmière vient préparer le pilulier de médicaments pour la semaine. De temps en temps aussi, ses parents sont accueillis à l’hôpital de jour Les Ormes à Montfermeil ou au centre socio-culturel voisin. Mais pour le reste, c’est elle qui gère tout.
« On dit que c’est un choix mais ce n’est pas vrai, réfute-t-elle. Culturellement, on ne place pas ses parents chez nous. Et quel autre choix j’avais ? Vivre ma vie et les regarder tomber dans la déchéance ? Quand on voit un sourire sur leurs visages, on garde l’espoir de les garder avec nous un maximum. »
Pour cela, Céline Castaing a cependant mis sa propre vie « en suspens ». « Nous faisons des sacrifices, reconnaît-elle. Nous dormons peu, avons peu de temps pour avoir une vie sociale. » « J’ai rencontré des aidants qui ont sacrifié toute leur vie, ajoute-t-elle, et qui, quand leurs parents meurent, continuent de venir au Café des aidants car ils n’ont plus d’identité. »
« Un casse-tête »
Cette ancienne directrice des ressources humaines à l’international refuse pour sa part de s’oublier. Elle qui avait vu sa carrière s’interrompre avant cela, suite à ce qu’elle appelle pudiquement « un accident de parcours » (une longue maladie), consacre son peu de temps libre à créer sa propre activité dans la formation à l’accompagnement aux personnes en situation de fragilité.
C’est pour cela qu’elle a mis en place ces aides, pour lui permettre de dégager un peu de temps pour elle, mais cela n’a été facile. « On se renseigne mais c’est un véritable casse-tête et nous ne sommes pas des experts, regrette-t-elle. J’ai dû beaucoup me déplacer, convaincre. C’est énormément d’énergie. Or, un aidant est déjà épuisé ! »
« C’est tout un système qui ne fonctionne pas, poursuit l’aidante. Les assistantes sociales et les agents de la Maison départementale des personnes handicapées sont débordées, des financements sont supprimés. L’aidant, lui, fait tampon et est livré à lui-même. Il faut une prise de conscience ! Le plan annoncé par le gouvernement est un premier pas mais il n’est pas suffisant car pour ceux qui sont à temps plein je ne vois rien de concret. » Et de conclure : « Moi, j’ai pris ma responsabilité, mais le système doit aussi prendre la sienne. »
« Bien mais peut mieux faire »
Ce mercredi 23 novembre, le gouvernement a annoncé un plan de « mobilisation et de soutien des proches aidants », comprenant notamment l’instauration d’un congé indemnisé de trois mois pour les aidants en activité et le doublement de la capacité d’accueil des lieux de répit* d’ici à 2022. Pour Annie Ludinard, coordinatrice du Relais des Aidants, ces annonces sont une avancée intéressante, mais restent insuffisantes.
« C’est plutôt bien qu’on s’intéresse enfin à la problématique des aidants mais il n’y a pas grand chose de nouveau à part l’instauration d’un congé indemnisé pour les salariés. Ce dernier est une avancée qui peut permettre de mettre en place des choses, d’organiser le maintien à domicile et le plan d’aide. Mais que va-t-il se passer après ces trois mois ? Il risque d’être insuffisant car beaucoup d’aidants sont contraints de cesser leur activité professionnelle, les aides ne couvrant pas l’ensemble des frais du maintien à domicile. Pour les lieux de répit, il faut voir aussi de quoi on parle : de l’accueil de jour, de l’accueil temporaire, de l’accueil en Ehpad ? C’est un peu le problème. Tout cela reste très flou. Aujourd’hui, les conditions pour y accéder sont tellement drastiques que les aidants ne font même pas la demande. Leur rôle est déjà très prenant, voir épuisant, et les démarches sont très compliquées. Les aidants sont complètement perdus. J’attends les décrets d’application pour me prononcer car, pour le moment, c’est beaucoup de conditionnel, mais en attendant je dirais : "bien mais peut mieux faire". »
* solutions d’accueil temporaire des personnes en situation de dépendance, permettant ainsi aux aidants de bénéficier d’un "répit". Il peut s’agir d’une prise en charge de quelques heures (accueil de jour), ou de plusieurs jours voir semaines (dans des structures spécifiques ou des Ehpad disposant de places dédiées à cet accueil).
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