Camille Saint M’Leux, la tête dans les étoiles

Camille Saint M’Leux, la tête dans les étoiles
Gastronomie

Ce chef, qui a posé ses casseroles il y a deux ans au restaurant la Villa9Trois, à Montreuil, vient de décrocher, à seulement 27 ans, sa première étoile au Guide Michelin. Une distinction qui récompense une cuisine moderne et raffinée au parfum d’iode rapportée de sa Loire-Atlantique natale. Et qui permet au département de compter encore un établissement étoilé sur son territoire.

Avant de le rencontrer, on s’est fait tout un film. Un chef, a fortiori dans un restaurant renommé, est forcément vibrionnant, pressé et n’aura donc pas beaucoup de temps à nous consacrer, le service du midi est à peine terminé qu’il faut déjà penser au suivant, remobiliser les équipes… Et là, surprise : « Je dispose de tout le temps qu’il vous faudra », assène Camille Saint M’Leux.


Calme, posé, souriant, ce jeune chef – 27 ans seulement – qui officie à la Villa9Trois depuis deux ans, à Montreuil (à un battement d’ailes du parc départemental Jean-Moulin – Les Guilands), est présenté par les médias, qui le suivent pas à pas, comme un monument en devenir de la cuisine française depuis plusieurs mois. La future crème de la crème. Il est en train de leur donner raison : le 6 mars dernier, il s’est vu remettre sa première étoile Michelin. Lors de cet entretien, réalisé quelques jours après, l’émotion semble déjà passée, ce qui est peu surprenant quand on sait que cet esthète, imperturbable, stoïque, vise toujours plus haut. « C’est une grande fierté et un soulagement car ce sont des années de sacrifice et de travail acharné qui aboutissent, confie celui qui a envisagé ce métier avec la ferme intention de côtoyer un jour les étoiles. Cette récompense est sur le plan personnel un rêve d’enfant qui se réalise mais, avec toute l’équipe (une vingtaine d’employés), on l’espérait. Pendant deux ans, on a fait preuve de solidité et de constance dans notre travail. Cela nous encourage et confirme que nous allons dans la bonne direction. »

Le sacro-saint petit guide rouge, faiseurs et défaiseurs de rois et dont le millésime 2023 vient de paraître, compte donc encore un représentant de la Seine-Saint-Denis dans ses pages. Le seul, après que Jean-Claude Cahagnet, le chef de l’Auberge des Saints-Pères, à Aulnay-sous-Bois, a perdu la sienne… de son propre chef. Ne se sentant plus à la hauteur de cette distinction, depuis le changement d’orientation de son restaurant, il avait demandé son retrait de son étoile au Guide Michelin, en octobre dernier par courrier. Il l’aura conservée 19 ans. Camille Saint M’Leux a donc le temps de voir venir, lui qui a développé une appétence pour la cuisine dès son plus jeune âge. « Chez moi, dans ma Loire-Atlantique natale, on mange très bien, des produits de la mer issus de la pêche en famille – j’ai appris à marcher sur le bateau de mon grand-père -, et des fruits et légumes du marché. J’ai toujours eu un lien très fort avec la nature. Et comme on est tous amoureux de la bonne cuisine, on a convenu, mes parents et moi, quand j’avais environ 10 ans, d’une sorte de pacte qui disait qu’à chaque excellent bulletin scolaire, ils m’invitaient à déjeuner à l’Atlantide 1874, un des meilleurs restaurants de Nantes (une étoile Michelin). C’est à partir de là que je suis devenu un élève modèle (rires). » Un restaurant avec lequel il noue des liens très forts (« Encore aujourd’hui, je suis très proche du chef Jean-Yves Guého », glisse-t-il), où il décide de faire son stage de 3e. Au bout de seulement une semaine passée dans les cuisines, tout est très clair sous sa toque, il sera cuisinier. « Quand j’ai annoncé la nouvelle à mes parents, ils m’ont dit ‘’passe ton bac scientifique d’abord’’. »

Cuisinier globe-trotter

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Une fois son bac en poche, il est admis à la prestigieuse école Ferrandi de Paris. Profitant du carnet d’adresses très épais de cette dernière, il obtient rapidement un stage au Clos des Gourmets (7e arrondissement), qui propose une cuisine des terroirs, puis il est recruté comme apprenti chez le double étoilé Taillevent (8e). « Très dur mais formateur », se souvient le Nantais, qui a appris les rudiments de son métier pendant deux ans en travaillant onze heures par jour. « Au début, on touche plus souvent le manche d’un balai que celui d’une casserole. Il faut faire le dos rond. Heureusement, l’équipe était super et on s’est serré les coudes. » Entre ces deux expériences, il profite de ses deux mois d’été, non pas pour souffler, mais pour se faire embaucher, de nouveau comme stagiaire, au Ledbury de Londres, considéré comme le 13e meilleur restaurant au monde par The World’s Best 50 Restaurants, un classement annuel réalisé par la société britannique William Reed Business Media, un des principaux concurrents du Guide Michelin. Bref, de quoi nous faire oublier tout ce que l’on sait sur la cuisine britannique. « C’est un établissement qui propose une cuisine créative marquée par les influences françaises, un service impeccable et un cadre agréable, se souvient Camille. Il propose une cuisine internationale à la fois technique et novatrice. » En revanche, les conditions sont insupportables : son service commence à 7h30 et se termine à 2h du matin, avec un repas par jour. « Une vie de chien, lâche-t-il. A Londres, dans les cuisines des restaurants, beaucoup de gens se droguent pour résister à la cadence infernale. Ce n’était vraiment pas mon délire. »

A côté, sa mission chez Taillevent passerait presque pour une sinécure. Il s’y plaît d’ailleurs beaucoup. Au bout d’un an et demi, l’arrivée d’un nouveau chef pâtissier, François Daubinet, constitue un premier tournant dans sa jeune carrière. « On m’a demandé de lui apporter un coup de main et très vite François m’a accordé sa confiance en me chargeant de réfléchir aux desserts du jour sur la carte, ce qui n’est pas rien. Aujourd’hui, il fait partie de mes meilleurs amis. » Un coup de cœur qui lui donne goût à la pâtisserie. Il se forme pendant un an aux côtés de Michaël Bartocetti au Shangri-La Hôtel (16e). Quand il atterrit ensuite au 5, le restaurant triplement étoilé du George V en tant que commis de cuisine, il découvre, en la personne de Christian Le Squer, une cuisine d’auteur, unique et tout en maîtrise. Au bout de six mois, il devient demi chef de partie (commis de cuisine confirmé) et devient le spécialiste des entrées et des entremets. Il rencontre aussi sur place Curtis Fallourd, qui est aujourd’hui son bras droit à la Villa9Trois. Pour grandir encore, s’imprégner d’autres saveurs, il décide de rejoindre des amis qui reprennent un restaurant à Brisbane, en Australie. « J’avais envie de retrouver une cuisine anglo-saxonne, ouverte sur le monde. » Il est sous-chef dans un établissement de renommée locale durant six mois. Il prend ensuite la direction de Sydney pour une durée identique et devient chef de partie spécialisé dans la viande chez Quay, une grosse adresse au pays des Wallabies.

Croire au local

A son retour en France, le Covid contrarie ses plans, sa promesse d’embauche dans un restaurant de Pont-Aven (Bretagne) comme chef de cuisine est suspendue. Il lance alors une glacerie familiale à Nantes. Puis un jour son téléphone sonne. A l’autre bout du fil, Claude Besson, un des deux patrons de la Villa9Trois, qui le veut comme chef dans son établissement pour conquérir une nouvelle clientèle et retrouver un peu d’allant. On est en mai 2021. Camille a 25 ans mais il est prêt à relever le défi. « Mon arrivée a fait fuir 40% de la clientèle historique car j’ai bousculé les habitudes », confie celui qui ne jure que par « une cuisine iodée et travaillée », qui brille par sa simplicité et qui mêle poissons, viandes et légumes de saison. « Je n’utilise aucune épice », jure Camille Saint M’Leux. Parmi ses plats signatures, citons le paleron de bœuf Châteauneuf recouvert d’œufs de harengs fumés et de charbon végétal, son chou braisé croquant accompagné d’une sauce à l’estragon, le lieu jaune de petit bateau cuit à la nacre ou encore les bulots servis avec une mayonnaise au laurier. A Montreuil, une ville qui, pour lui, ressemble à s’y méprendre à Nantes (tissu associatif très développé, engagement militant des habitants, une vraie âme), il se sent tout de suite à son aise. « Quand j’ai obtenu l’étoile, les élus du coin m’ont félicité et m’ont signifié que je faisais la fierté d’une ville et d’un département. »

Le chef croit beaucoup au « local » : ses serveurs et ses apprentis sont tous originaires de Seine-Saint-Denis, le miel vient de la ruche située à deux pas du restaurant et le pain du fournil éphémère L’Atelier, rue de l’Eglise, à Montreuil. Il collabore également avec deux céramistes montreuillois pour les plats et les assiettes. « Je compte solliciter des associations pour créer des échanges et faire appel à des paysagistes car un restaurant de renom ne saurait se limiter au service à table, affirme-t-il. La Villa9Trois est située dans un cadre exceptionnel, il faut le mettre en valeur. » Egalement à l’étude, l’ouverture de ses cuisines aux écoliers voire, à l’inverse, aller dans les cantines scolaires pour partager et transmettre son savoir. Quand il a investi les lieux, le jeune homme a créé un potager de légumes et d’herbes aromatiques autour duquel vivent désormais des poules qui se nourrissent des déchets organiques… produits par le restaurant. L’art du recyclage ne s’invente pas. Morale de l’histoire : quand on prend soin de sa planète, cela peut vous propulser dans les étoiles.

Grégoire Remund
Photos : ©Nicolas Moulard

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