Avec Sine Qua Non, les city stades se féminisent
Connue pour ses séances de running en ville à destination des femmes, l’association Sine Qua Non propose également des entraînements de football 100% féminin sur les city stades de Pantin, Aubervilliers, Montreuil et bientôt Saint-Denis. L’objectif étant que les filles se réapproprient ces aires de jeu gratuites, situées dans l’espace public et occupées le plus clair du temps par les garçons.
Deux, puis dix, puis vingt. Timidement mais sûrement, le petit terrain de foot Habibou Sow, à Montreuil, se remplit. Chose inhabituelle, en ce mercredi après-midi, la pelouse synthétique est uniquement occupée par des filles. Elles ont entre 8 et 15 ans et vont bientôt attaquer l’entraînement avant de disputer quelques matches. Les city stades depuis qu’ils existent sont la chasse gardée des garçons. Aussi, ceux-ci ont parfois du mal à masquer leur étonnement quand on leur explique que le terrain est réservé et qu’ils vont devoir patienter. Mais tous sans exception, après avoir été briefés, rebroussent chemin sans broncher. A Pantin (depuis trois ans), Aubervilliers puis, plus récemment, Montreuil et bientôt Saint-Denis, l’association parisienne Sine Qua Non* propose, un mercredi sur deux, des séances gratuites de football dans les city stades à des jeunes filles qui y ont, de fait, rarement accès.
Car, si le foot féminin est en plein essor – la Fédération française compte cette année plus de 220 000 licenciées, un chiffre qui a été multiplié par deux en dix ans - 95 % des utilisateurs des terrains de proximité sont des hommes, selon le Centre Hubertine Auclert, organisme associé de la région Ile-de-France qui lutte contre les inégalités et les discriminations fondées sur le sexe et le genre. En clair, si la pratique féminine augmente dans les clubs, elle reste complètement inexistante dans l’espace public. « L’envie est là mais les filles n’osent pas, soit parce qu’elles n’ont pas confiance dans leur niveau de jeu, soit parce qu’elles ne sont tout simplement pas les bienvenues », déplore Leïla Mahri, responsable du développement à Sine Qua Non, qui s’est fait connaître en 2019 pour ses sessions running à destination des femmes, organisées dans des lieux dits « peu fréquentables » afin de prendre possession de l’espace et de revendiquer leur droit à faire du sport où, quand et dans la tenue qu’elles veulent.
« Sur les city stades, c’est du chacun pour soi »
« L’objectif n’est surtout pas de rendre la pareille aux garçons, il n’y a aucune hostilité de notre part, on souhaite juste que les filles prennent conscience que les city stades leur appartiennent tout autant », poursuit Leïla. L’initiative se déroule en deux temps. Pour s’acclimater au lieu et s’aguerrir, elles ne jouent d’abord qu’entre elles. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines, quand les filles se disent prêtes et donnent leur accord, que les garçons s’intègrent au projet. Evoluant dans des équipes mélangées, ces derniers se soumettent ensuite à quelques règles : ils doivent par exemple passer rapidement le ballon à leurs coéquipières et ont interdiction de tirer au but si les filles de l’équipe n’ont pas participé à l’action.
Sur le terrain Habibou Sow, c’est Biré, forte de son expérience en club, le Montreuil FC, qui assure l’entraînement. Pour cette toute première séance, elle a fait venir des partenaires de club. Il y a aussi des petites filles d’un centre de loisirs, toutes néophytes. Et quelques adolescentes, plantées au départ derrière le grillage et auprès desquelles il a fallu insister pour qu’elles viennent se greffer au reste du groupe. « Le regard que portent les gens sur le football féminin change au fil des années, estime Biré, qui pratique ce sport depuis six ans. Mais il reste beaucoup à faire, c’est pour cela que j’ai voulu m’inscrire dans ce dispositif. En club, les choses sont claires, il y a une politique. Sur les city stades, c’est une autre histoire, c’est du chacun pour soi. » Soulyma et Anouk, 8 ans toutes les deux, confirment. « Déjà que dans la cour de récré, les garçons nous crient dessus dès qu’on touche la balle, sur les city stades on n’y pense même pas, racontent-elles d’une même voix. Ici, au moins, on est entre filles, on est accepté et personne ne vient nous critiquer ou nous embêter. » « L’avantage des city stades, dans le cadre de notre action, est qu’ils sont situés en cœur de ville, à proximité d’immeubles d’habitation. Nous sommes donc visibles, aussi bien des passantes que des familles qui, depuis leur fenêtre, n’ont plus qu’à constater », souligne Leïla.
Le FCMA associé au projet
C’est à Pantin, quelques jours avant le confinement, en mars 2020, que l’opération Sine Qua Non FC a commencé. Pour maximiser ses chances, l’association a décidé de collaborer avec l’antenne jeunesse du Haut-Pantin qui mobilise les filles sur les city stades et sensibilise les garçons sur le bienfondé de cette démarche à travers des échanges et des débats menés toute l’année. « Les mentalités changent, les garçons et les parents font preuve d’ouverture d’esprit aujourd’hui, estime Smahane, animatrice à l’antenne. Depuis que le foot féminin est télévisé, il y a globalement moins de défiance et moins de stéréotypes. » Au city stade qui jouxte le stade Charles Auray, rue Candale, si tout n’est pas gagné, les filles ont davantage leur place. « Pendant longtemps sur les city stades, notre place était au bord du terrain et celles qui avaient la chance de jouer ne recevaient jamais le ballon. Après avoir commencé entre filles pour prendre confiance, on fait désormais des tournois dans les mêmes équipes que les garçons », se réjouit Meriem, 11 ans. Des rencontres mixtes qui fonctionnent tellement bien que le concept a essaimé dans la cour du collège Lavoisier, situé à quelques pas.
Meriem et ses copines s’entraînent sous les ordres de Mila, jeune footballeuse de 22 ans qui intervient aussi à Aubervilliers. « Petite fille, j’aurais aimé qu’on me donne l’opportunité de jouer en toute liberté, sans barrière mais cela n’a pas été le cas, détaille celle qui est aussi assistante d’éducation au collège Joliot-Curie de Pantin. J’ai dû me faire ma place toute seule au milieu des garçons. J’y suis parvenue car j’ai un très gros caractère et que le foot est une passion. Je n’ai jamais laissé personne me juger. Mais pour beaucoup de filles, c’est difficile. La moindre remarque peut complètement vous déstabiliser. »
Le Football Club Municipal d’Aubervilliers reste, dans le département, un prescripteur important du foot féminin. La section dédiée, créée il y a quelques années, compte aujourd’hui environ 70 joueuses, de l’école de foot aux U16. Quand Sine Qua Non a fait appel à ses services pour s’implanter dans la ville, le club n’a pas hésité longtemps. « Ce sont des valeurs que nous défendons toute l’année, assure Toufik Belkhous, vice-président délégué aux jeunes au FCMA. Les filles du club se prêtent depuis le départ au jeu, elles font de la pub auprès de leurs amies, dans leurs écoles, leurs collèges et même dans la rue. Et ça marche plutôt bien. Mais pour vraiment marquer les esprits, il ne faut pas relâcher l’effort. »
Grégoire Remund
Photos : ©association Sine Qua Non
*L’association Sine Qua Non est soutenue par Paris 2024, le Département de la Seine-Saint-Denis et les villes partenaires dans le cadre de l’appel à projets Impact 2024, qui soutient des acteurs du monde sportif et des associations portant des projets innovants, utilisant le sport comme outil d’impact social.
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