Cinéma Montreuil

Aurélia Petit : "Casser l’omerta"

Aurélia Petit joue dans Grâce à Dieu. Ce film de François Ozon raconte l’histoire vraie de trois hommes qui accusent un prêtre d’agressions sexuelles. Pour retrouver d’autres victimes, ils créent l’association La Parole libérée. Le film tourné en grand secret vient d’être récompensé du Grand prix du jury à Berlin. Interview de cette artiste montreuilloise.

Aurélia Petit, vous jouez dans le film de François Ozon qui a finalement eu l’autorisation de sortir le 20 février dans les salles françaises. Est-ce un film politique, selon vous ?

Dans le sens où ce film pourrait changer la société ? En tout cas, j’ai eu l’impression qu’il était important de porter cette histoire. Mais je ne me suis pas dit qu’on était en train de tourner un film politique. Ce film parle du silence autour des violences sexuelles sur mineurs. Du silence des parents, de leur culpabilité d’avoir confié leurs enfants à des prêtres et de ne pas avoir su écouter, ne pas avoir pu écouter ces choses. J’espère que les autres générations sauront écouter leurs propres enfants.

En faire un film grand public, est-ce déjà prendre parti ?

Le film est très fort. Il démarre avec mon mari (Alexandre, joué par Melvil Poupaud) qui a vraiment besoin d’excuses de la part du diocèse. Il veut vraiment régler son problème avec l’Église mais d’une manière très légale. Au début, c’est assez factuel : beaucoup de lettres, de plaintes, d’attente de réponses, de compromis pour obtenir la rédemption et le pardon qui n’arrivent même pas d’ailleurs. Ensuite le film s’intéresse à un autre personnage. Lui au contraire veut tout dévoiler à la presse. Et le troisième va porter plainte. Il est vraiment marqué dans sa chair. Tout ce parcours nous fait comprendre que cela peut encore arriver à tout le monde, dans tous les milieux, que ça nous touche tous. Le film part de ces trois individus qui existent et ont créé l’association de victimes La Parole libérée. Ce sont vraiment trois films différents.

Avez-vous rencontré la femme d’Alexandre pour préparer le rôle ?

Non, je l’ai rencontrée après. On a pensé que c’était mieux si on était détaché de ces personnes. A la projection équipe, où ils étaient conviés, on était tous tendus. C’était très impressionnant car le personnage que j’incarne a aussi fait des révélations à François mais elle, personne dans sa famille n’est au courant de ces révélations. C’est très beau d’avoir gardé cette scène dans le film car elle permet d’entendre qu’il y a tout un monde silencieux à qui il est arrivé des choses similaires ou pires. Des personnes qui n’ont pas encore réglé leur compte, ni essayé de dire la vérité. Ils n’ont pas encore parlé. Ils gardent ce secret pour eux-mêmes.

L’omerta est grande. C’est difficilement imaginable qu’elle soit si grande...

Il faut casser cette omerta pour ne pas qu’elle circule de générations en générations, pour ne pas la transmettre à nos propres enfants. Dans la société, j’ai l’impression qu’on communique plus avec nos enfants sur tous ces pièges-là. On est plus réceptifs, on est plus dans le dialogue pour parler de ces choses-là. Il y a moins de honte car on en parle de plus en plus.

Pourtant aujourd’hui encore les moins de 15 ans sont la classe d’âge la plus victime de violences sexuelles.

C’est très compliqué.
Souvent on a l’impression qu’on est en train d’avancer mais pas du tout. Quand on se réveille, quand on voit les chiffres, on s’aperçoit que finalement il n’y a toujours pas de prise de conscience. Ou en tout cas, c’est toujours aussi fort. On ne sait pas comment faire pour prémunir les enfants de tout ça. Le procès contre Barbarin a eu lieu. Il n’y a même pas a priori de charges contre lui. Il a pourtant protégé le prêtre Preynat qui disait lui-même qu’il était malade, qu’il ne fallait pas qu’il soit en contact avec des enfants. Et on ne faisait que le déplacer, le mettre 50 km plus loin, et ça toujours 30 ans plus tard. Ça a duré des dizaines et des dizaines d’années. François Ozon se pose là. Comment on juge ce genre d’affaire ? Et comment on fait pour ne pas que ça recommence ?

Le tournage de Grâce à Dieu était-il entouré de secrets ?

Effectivement, la production et François se demandaient jusqu’où aller pour raconter cette histoire qui allait être en jugement. On savait bien que c’était complexe. Plusieurs scénarios circulaient avec des lieux de tournage différents. D’ailleurs, tous les intérieurs d’église ont été tournés en Belgique alors que le film se passe à Lyon. D’ailleurs à Lyon, on n’a pas pu tourner à Fourvière. Pour avoir des images, on se confondait avec les fidèles aux entrées et sorties de messe. Les caméras étaient très loin, cachées. On se faufilait, comme dans du cinéma réalité. J’aurais bien aimé lire les autres scénarios. Je trouve que c’est un film en soi que de tourner avec plusieurs scénarios en circulation.

C’était un tournage top secret alors ? Pouviez-vous en parler ?

Je n’ai pas senti trop de pression non plus. Mais on était tous un peu dans un mystère. Et en même temps on pouvait raconter l’histoire de ces trois hommes qui étaient un peu en doute avec la religion. On n’était pas éloigné non plus du scénario mais il ne parlait pas de ces cas d’agressions sexuelles sur mineurs. D’ailleurs, le film ne s’appelait pas Grâce à Dieu mais Alexandre.

Quand on voit maintenant les pressions de Régine Maire pour que son nom n’apparaisse pas dans le film, on comprend que Ozon ait voulu tourner discrètement.

Effectivement. C’est le vrai prénom et le vrai nom de tout le monde. On s’est dit à un moment donné, qu’on était en position de force. On se demandait comment ils allaient pouvoir interdire la sortie du film. C’était presque un coup de communication hyper aggravant pour eux-mêmes si jamais ils nous interdisaient de faire le film, de les citer.

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Qui est cette femme que vous incarnez ?

Le personnage que j’incarne est une femme qui s’est occupé de ses cinq enfants et qui a porté sa famille pendant que son mari s’insurge contre cette autorité-là et entre dans un processus de plainte. D’ailleurs tous ces hommes remercient énormément leurs femmes sans qui ils n’auraient pas pu aller jusqu’au bout. C’est vrai que les femmes étaient à la maison, faisaient tourner la maison. Les personnes qu’on incarne sont des gens très croyants, encore. Qui ne se sont pas désolidarisés, qui ne se sont pas apostasiés.

Vous incarnez une catholique pratiquante. Est-ce le cas de votre famille ?

Je suis très étrangère à ces milieux-là. J’ai fait ma première communion avec François Ozon d’ailleurs. Ils ont bien vu que je n’avais jamais mangé d’hostie de ma vie. Je me suis retrouvée devant le prêtre et j’ai fait un raté devant la caméra. Je l’ai pris directement des mains du prêtre alors qu’il faut attendre que le prêtre nous dépose l’hostie dans la main. Ensuite on incline la tête et on ne regarde pas le prêtre droit dans les yeux. Moi, j’ai fait tout le contraire.

Comment expliquez-vous que les spectateurs vous fantasment comme une grande bourgeoise ?

Dans l’image du cinéma français, j’incarne la bourgeoisie. Ça doit être la blondeur. Je me tiens très droite du fait d’avoir fait beaucoup de gym. Mon père est comme ça aussi. J’ai ce port assez droit. Une démarche assez autoritaire. On me donne des rôles de bourgeoises. A un moment, j’ai fait un film qui s’appelait Oublier Cheyenne où je jouais une lesbienne et j’ai joué ensuite des lesbiennes pendant trois ans. Là, je pense que je vais jouer des bourgeoises pendant 10 ans...

Catherine Deneuve, en son temps aussi. Il y a pire...

J’aime bien les rôles de bourgeoises parce que ce sont des rôles complexes. Entre ce qui est montré et ce qu’il y a à l’intérieur, quand on a un carcan de représentation, quand on est si codifié en termes d’apparence, c’est toujours intéressant de faire vibrer des contradictions, des oppositions à l’intérieur. J’ai des seconds rôles mais j’ai la part belle des seconds rôles... Je me console comme ça. Les premiers rôles ont à prendre en charge le déroulé de la narration alors que les personnages secondaires peuvent y amener plus de nuances. Ça peut grincer un petit peu plus. On peut y mettre plus de complexité que dans des premiers rôles.

Plus de prise de risque ?

Oui car on peut se permettre d’en faire trop. On peut se permettre de dépasser les lignes, de déborder du cadre.

Vous avez travaillé au cirque Archaos, on ne vous imagine pas forcément dans cet univers.

J’ai été déscolarisée très tôt. J’étais un cancre à l’école. J’ai redoublé ma troisième. Après je suis partie. Comme je ne vivais qu’avec ma mère, il fallait bien que je me débrouille. Je suis partie avec une compagnie de théâtre de rue implantée dans le Sud sur le terrain où était implanté le cirque Archaos. On a fait notre création dans notre coin. Et petit à petit, comme ça se passait bien avec eux, ils nous ont pris en tournée. Nous nous occupions des entrées et de faire quelques intermèdes entre les numéros. Finalement, on s’est retrouvés à faire les clowns, les inter-scènes. Et on a fait un spectacle au Cirque d’hiver avec eux. Je faisais de l’acrobatie mais pas au point de faire des numéros de cirque avec eux. Ça a été trois années de vie, de tournée. L’atmosphère des troupes m’a toujours guidée. Des vrais cours de vie, très riches.

On est très loin de la bourgeoisie, n’est-ce pas ?

Je ne suis pas du tout de ce milieu. Moi, c’était retour néo-rural dans les années 70 dans une ferme dans le Perche avec des sabots sculptés. Ma mère me faisait des manteaux en laine de mouton qu’on filait nous-mêmes. Vous voyez un peu ? Pas de poupée, pas de télé. On est arrivées à Paris dans les années 80. On habitait une petite chambre de bonne dans le Marais qui était à ce moment-là vraiment pouilleux. Ensuite à 16 ans, je suis partie sur les routes. Et je suis revenue vers 20-21 ans. Je n’ai rien de bourgeois. A Montreuil, ça m’a posé problème qu’on me prenne pour une bourgeoise.

Vous habitez à Montreuil ?

Je suis vers le bas Montreuil, vers le parc des Guilands. Au début, c’était super douloureux de devenir la bourgeoise, la propriétaire aux regards des autres. De faire partie des privilégiés, des bobos. Ça a été difficile. Ça l’est toujours d’ailleurs. Je ne sais pas trop quoi faire avec ça. Je suis un peu empêtrée avec ce truc. Je n’ai pas forcément les bons arguments de défense, ça m’énerve. C’est vrai, j’aime bien bien manger, profiter de la nature, j’aime bien habiter ici. Je ne comprends pas très bien.

Vous vous sentez coupable ?

C’est bizarre. Il faut travailler sur la réponse, l’argumentaire. C’est vrai qu’on n’est pas maître de l’image qu’on donne aux gens. Ça, c’est certain.

Portrait : @Franck Rondot

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