Entreprendre Logement Clichy-sous-Bois

Assetou Coulibaly, fée du logis d’autrui

Originaire de Clichy-sous-Bois, Assetou Coulibaly est décoratrice d’intérieur et propose, grâce au soutien des bailleurs et des villes, des séances de coaching gratuites aux locataires de Seine-Saint-Denis qui en font la demande. Chez soi plus confortable et agréable à vivre, confiance en soi, goût d’entreprendre… Les bénéfices de cette initiative sont multiples.

Désormais, quand elle quitte le travail en fin de journée, Maria est pressée de retourner chez elle. Pour retrouver les siens, bien sûr, mais aussi profiter du nouveau confort douillet de son appartement. L’an passé, le salon de cette habitante de Bobigny, qui occupe un logement social dans le quartier Pont de Pierre, a subi un rafraîchissement salutaire : les murs ont été repeints, certains meubles remplacés et les jouets en pagaille remisés dans la chambre du petit ou à la cave. Ce grand ripolinage a été effectué avec l’aide et la bienveillance d’Assetou Coulibaly qui, via sa jeune start-up « Dessine-moi un cocon », propose des sessions de coaching gratuit à des locataires désireux de changer leur intérieur. Pour financer son matériel (pots de peinture, pinceaux, rouleaux, bâches de protection, etc.), cette décoratrice de 35 ans, qui a passé toute son enfance à Clichy-sous-Bois, bénéficie du soutien des bailleurs sociaux et de certaines communes de Seine-Saint-Denis.

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« Sans l’intervention d’Assetou, je n’aurais jamais osé entreprendre le moindre changement et puis, il y avait un tel bazar que je n’aurais jamais su par où commencer, confie Maria. Aujourd’hui, chaque chose est à sa place, ranger est une tâche est devenue facile et s’effectue en un rien de temps, et le salon a gagné en espace. Je ne l’aimais pas, maintenant je l’adore. C’est un plaisir d’être chez moi. » Si Assetou conseille, supervise et met parfois la main à la pâte, les travaux sont réalisés intégralement par les locataires eux-mêmes. « Cette opération m’a donné envie de ré-agencer la chambre de mon fils, poursuit la Balbynienne. J’ai changé son lit de place, retiré les jouets dont il ne se servait plus afin qu’il redécouvre avec joie ceux qu’il lui restait. Et cet été, je vais me lancer dans la peinture. Quand j’ai un doute ou une question, je n’hésite pas encore à consulter Assetou, qui a toujours une oreille attentive. »

Une première tentative qui fait pschitt

Assetou Coulibaly a créé « Dessine-moi un cocon » en 2020 sous l’impulsion d’un premier confinement qui aura été particulièrement dur à vivre pour certaines familles. Son idée : rendre les intérieurs des gens plus confortables et agréables à vivre. « Je vis seule avec mon fils et pour nous, le confinement n’a pas été une expérience traumatisante, bien au contraire. J’ai profité de cette période pour aménager mon appartement, ce qui m’a fait un bien fou. Je me suis alors dit que je devais en faire autant chez les autres, ceux qui n’osaient pas franchir le pas ou ne savaient pas comment s’y prendre », raconte celle qui a élu domicile à Livry-Gargan depuis quelques années et qui occupe un bureau à l’Atrium, la pépinière d’entreprises située à Montreuil. C’est au printemps de 2020 qu’elle tâte pour la première fois le terrain du coaching déco en organisant un webinaire sur Facebook. Mais l’opération fait pschitt. « Je n’ai attiré qu’un seul participant, un monsieur de Nîmes (Gard), ravi au demeurant des conseils que je lui ai donnés. Le lendemain il avait refait tout son appartement », se souvient, tout sourire, la jeune entrepreneuse. Communicante hors-pair dotée d’un joli bagout, elle se fait repérer par des particuliers et des commerces qui s’appuient sur son expertise au sortir du confinement. Le succès est au rendez-vous.

Gonflée à bloc, elle se lance alors, toujours via Facebook, à l’assaut des villes de Seine-Saint-Denis et des élus locaux (« parce qu’il y a de vrais besoins et que je connais très bien ce territoire », dit-elle) pour leur proposer ses services. Elle commence par contacter Olivier Klein, le maire de Clichy-sous-Bois, sa ville natale. Qui accepte d’apporter une aide pécuniaire au projet. Et qui est rapidement suivi par un bailleur social, puis deux. Il faut dire que le deal contient de sérieux atouts : en finançant des travaux chez les personnes résidant en HLM, les collectivités et les bailleurs signent un pacte de confiance et de tranquillité avec ces derniers. Et pour cause, des habitants qui se sentent mieux chez eux prendront soin de leur logis et des parties communes. Un cercle vertueux qui a aussi fini par séduire les Villes d’Aubervilliers, Aulnay-sous-Bois et Bobigny.

Une présentation devant Macron

Avant de décrocher tous ces partenariats, Assetou prend son bâton de pèlerin et sillonne des jours durant les quartiers populaires de Clichy-sous-Bois (le Chêne Pointu, le Bois du Temple, la Vallée des Anges) où elle guette les résidents en pied d’immeuble et fait de l’affichage sauvage sur les façades des bâtiments et les ascenseurs. Elle rédige l’annonce en français, en arabe et en turc « pour toucher un plus large public et insister sur le fait que ce coaching concerne tout le monde, explique-t-elle. Mais je me suis vite rendue compte qu’en plus d’être illégale, cette méthode était inefficace. » Désormais, c’est donc munie d’une convention – sur laquelle figure les logos de sa société, de la ville et du bailleur - qu’elle se rend chez les gens. Lesquels sont ciblés par les structures partenaires et les gardiens d’immeuble afin d’éviter éparpillement et perte de temps.

On l’aura compris : pour la Clichoise, réinvestir son chez-soi ne répond pas uniquement à des critères esthétiques, la volonté sous-jacente de cette initiative vise aussi à restaurer la confiance, à donner envie de prendre des initiatives, d’acquérir des savoir-faire… « Finalement, la décoration n’est qu’un prétexte, concède l’intéressée. Mon objectif est d’insuffler aux gens de l’énergie et leur prouver que tout un chacun a des compétences cachées. Il n’est nul besoin d’être expert en quelque chose pour tracer sa route et trouver son bonheur. » Reste pour cela à gagner la confiance des habitants, ce qui n’est pas toujours une mince affaire. « Ma proposition n’est pas commune, il faut que je leur fasse très vite comprendre quelle est ma démarche et que je les rassure. Je leur montre des photos et leur explique qu’ils ont le droit de se rétracter, même au dernier moment. » Avant de poser ses pots de peinture dans les appartements, Assetou demande aux personnes bénéficiaires des visuels pour « me faire une idée et me préparer. Je ne suis pas magicienne, je ne compose qu’avec l’existant. »

Avant de se lancer dans la décoration d’intérieur, la jeune femme a roulé sa bosse. Titulaire d’un BTS « management des unités commerciales », elle a travaillé pendant sept ans chez SFR. Enceinte, elle décide de changer de domaine professionnel pour avoir des horaires plus flexibles. Elle devient gestionnaire de paie dans un cabinet comptable. Mais après quelques années de bon et loyaux services, elle est licenciée. Sur ces entrefaites, elle décide d’intégrer Time2Start, un programme d’incubation qui accompagne de futurs entrepreneurs à travers une formation et du conseil, pour devenir décoratrice d’intérieur, le métier qu’elle rêve de faire sous cape depuis qu’elle est enfant. Autodidacte, déterminée, sa voix ne tremble pas le jour où, lors d’un colloque consacré aux jeunes entrepreneurs, elle expose son projet au Président Emmanuel Macron. « Je me suis rendue compte ce jour-là que je maîtrisais mon sujet et que je savais où j’allais », affirme-t-elle. Au Département, Assetou n’est pas une illustre inconnue : l’année dernière, elle a été lauréate du dispositif Agir In Seine Saint Denis pour lequel elle a perçu un soutien financier qui lui a permis de se développer. « Je suis très attachée à la Seine-Saint-Denis, j’espère vivre encore plein d’aventures similaires avec le Département », conclut-elle d’un clin d’œil complice.

Grégoire Remund
Photos : ©Nicolas Moulard

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