Football américain La Courneuve

Anthony Mahoungou, la French Touchdown

A 26 ans, Anthony Mahoungou a déjà fait un sacré bonhomme de chemin : ce jeune homme, formé au club de foot américain du Flash de La Courneuve, a joué en championnat universitaire américain et failli devenir le 2e Français de l’histoire à évoluer dans la prestigieuse NFL. Le 7 février prochain, il sera au commentaire du Super Bowl pour la chaîne L’Equipe. Portrait.

« Touchdooown ! » Couleurs criardes et concert à paillettes, golgoths qui courent et puis s’arrêtent. Vu de France, le Super Bowl, finale du championnat de foot américain, a pour certains des allures de grande kermesse. Pour d’autres, pas du tout : ce jeu est le plus sérieux du monde. Pour faire vivre ce sport aux uns comme aux autres, vous pouvez en tout cas compter sur Anthony Mahoungou.
Le jeune Courneuvien sera le 7 février au micro de la chaîne L’Equipe pour commenter de sa voix grave ce rendez-vous américain aux côtés du journaliste Peter Anderson. Le néo-consultant sait de quoi il cause. A 26 ans, il traîne déjà un sacré pedigree derrière lui : capitaine de l’équipe de France à 19 ans, 4 années de foot US en championnat universitaire américain et une pré-saison avec l’équipe pro des Philadelphia Eagles. Pour un peu, il devenait même en 2018 le 2e Français de l’histoire à jouer une saison régulière dans la prestigieuse NFL, le meilleur championnat au monde, après Richard Tardits (ex-joueur des New England Patriots). Mais sa non-sélection à la dernière minute en a voulu autrement. Fataliste, Mahoungou n’y voit pourtant que du positif : « Je n’ai aucun regret. J’avais mis toutes les chances de mon côté en m’entraînant dur. C’est comme ça, il y a des facteurs qu’on ne peut contrôler dans la vie, et encore plus en foot américain. Et puis, l’histoire n’est pas finie... »

« L’Américain »

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Dans ses œuvres au Flash La Courneuve

Si elle n’est pas finie, elle a en tout cas commencé à La Courneuve. Et au Flash, club qu’Anthony rejoint à 13 ans, après y avoir accompagné son grand frère Axel, épris d’un manga – EyeShield 21 qui faisait la part belle à ce sport alors encore confidentiel pour l’Hexagone. « Je suis allé à son premier match et j’ai tout de suite adhéré au groupe, au jeu, au fait que dans cette discipline, tous les gabarits soient sur le terrain. » Le petit Anthony a croqué dans le ballon ovale et il n’est pas près d’en oublier le goût… Son tempérament fera le reste : « Au collège déjà, on m’appelait « L’Américain » ou « L’extraterrestre », parce que je traversais la ville avec des épaulières, le casque du Flash… Mes amis hallucinaient du temps que je consacrais au foot US. Au lycée, je préférais rester chez moi ou m’entraîner plutôt que d’aller faire la fête ! Mais je suis comme ça : quand quelque chose me plaît, je ne peux pas le faire à moitié, je veux aller au bout de ce qui est possible ! »
Et le bout du monde, en foot américain, ça s’appelle les States. A 20 ans, le petit Frenchie de La Courneuve franchit le Rubicond dans un junior college, à West Hills, en Californie. Un an plus tard, premier gros succès : le « wide receiver » - l’équivalent d’un ailier chargé de marquer - est recruté par l’université de Purdue, dans l’Indiana, pour y jouer en championnat universitaire au sein de l’équipe des « Boilermakers » (littéralement les fabricants de bouilloires). Chaud comme ledit ustensile, Mahoungou gravira les échelons un à un pour taper dans l’oeil des Philadelphia Eagles, avec l’épilogue que l’on sait. Une trajectoire pleine comme un œuf, que le costaud – 1m90 pour 95kg - attribue avant tout à son opiniâtreté. « Grandir à La Courneuve m’a sans doute donné une mentalité de combattant. Je m’en suis servi dans mon parcours. C’est pour ça que quand on me demande d’où je viens, je rappelle toujours que je viens de la banlieue. Malheureusement, en France, quand on parle des banlieues, on est toujours ramené à des images négatives. On ne parle jamais de ces banlieusards qui ont réussi, alors qu’il y en a tellement… »
Venu au foot américain au Flash de La Courneuve, Mahoungou a bien sûr aussi un mot pour son club formateur, le plus titré de France avec 11 championnats Elite au palmarès et dont il co-entraîne du reste l’équipe Elite cette année. « C’a surtout été une chance en termes de coaches, car à l’époque de mes débuts, j’ai eu droit au meilleur de la scène française : Steve Delaval, Samir Hamoudi, Nicholas Simoneau (actuel coach défense de l’équipe de France seniors), Paul Durand : ils étaient déjà tous en équipe de France et avaient joué en NFL Europe... » Et de souligner aussi le solide travail éducatif réalisés par les Jaune et Noir, jamais les derniers pour ouvrir l’horizon des jeunes en prenant appui sur leur discipline.

Marqué par « Black Lives Matter »

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Mahoungou sous le maillot des Boilermakers de Purdue

Dans le roman d’apprentissage qu’est la vie d’Anthony Mahoungou, les Etats-Unis auront aussi été un puissant accélérateur. « J’y suis arrivé en tant qu’athlète, j’en suis reparti en tant que moi-même, en sachant un peu mieux qui j’étais », confie-t-il. Petit à petit, la transition Obama-Trump, les violences policières, le mouvement Black Lives Matter puissamment relayé par Colin Kaepernick au sein du foot US font évoluer le jeune homme, lui donnent une épaisseur. Une anecdote lui revient, du temps où il jouait dans l’Indiana : « Un de mes potes de la fac revenait de Louisiane à l’occasion des fêtes de Noël avec un autre joueur de l’équipe, tous les deux noirs. En arrivant dans l’Indiana, ils se font contrôler par un officier. Et celui-ci leur fait comprendre qu’il n’aime pas leur tête… Alors, mes deux potes ont tout de suite dit qu’ils faisaient partie de l’équipe des Boilermakers et le policier a immédiatement changé d’attitude. Aux Etats-Unis, c’est comme ça : ton statut de sportif de haut niveau te protège. La question que je me pose, c’est : qu’arrive-t-il à tous les autres qui n’ont pas ce statut ? »
Questionné sur un possible parallèle avec la France, le wide receiver ne botte pas en touche : « il y a des mentalités similaires, aucun pays n’est à l’abri du racisme et de l’impunité de certains. Mais ça n’atteint pas le niveau des Etats-Unis : en France, on a des affaires Zyed et Bouna (deux jeunes de Clichy-sous-Bois morts dans un transformateur électrique en 2005, alors qu’ils étaient pourchassés par la police, ndlr), des affaires Adama Traoré, mais on n’a heureusement pas de policiers qui abattent des gens qu’ils sont censés protéger. »
Pour finir sur une note un peu plus gaie, on lui demande son favori pour le prochain Super Bowl. Aussitôt, le feu du passionné ressurgit dans sa voix. « Allez, le champion sortant, autrement dit les Chiefs de Kansas City, les Bills de Buffalo ou les Green Pay Packers, c’est une de ces 3 équipes qui va gagner à mon avis ». Au fait, commenter cette NFL ne lui donnerait-il pas un goût de reviens-y ? « Pas impossible », souffle celui qui se laisse encore trois ans pour réaliser son rêve et songe en attendant à rebondir au Canada ou en Allemagne. Pour ceux qui n’auraient pas encore cerné le personnage, voici les sous-titres : il reviendra à la charge, foi de Mahoungou.

Christophe Lehousse

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