Annie Ernaux : « La culture ne doit pas être quelque chose de triste »

Annie Ernaux : « La culture ne doit pas être quelque chose de triste »
Littérature

La romancière Annie Ernaux, autrice de « La Place » ou de « L’Evénement », vient de recevoir le Prix Nobel de littérature 2022. Nous l’avions rencontrée en mars à l’occasion de l’inauguration à Villetaneuse de la médiathèque qui porte son nom. Nous republions à cette occasion son interview.

Interview datant du 11 mars 2022

Vous qui avez été enseignante avant d’être autrice, j’imagine que vous êtes fière de voir une médiathèque porter votre nom…

Oui bien sûr, la fierté est grande. Mais il y a aussi de l’étonnement. Jamais je n’aurais pensé vivre ça. J’ai l’impression d’avoir vécu ma vie sans avoir de grandes ambitions. J’ai écrit avant tout parce que j’en avais besoin et il se trouve que j’ai eu un public. D’un seul coup, je fais le lien entre la petite fille que j’étais, qui entre dans une bibliothèque à Yvetot et ce soir. Bon, moi petite fille, j’avais été plutôt mal reçue : on nous avait fait sentir à moi et à mon père que nous n’étions pas assez bien pour un lieu comme celui-là. Mais les choses ont fort heureusement évolué. Je trouve ça formidable que ces lieux-là existent.

A quoi aimeriez-vous que ressemble la médiathèque Annie-Ernaux ?

Le livre est l’élément principal. Mais il y a maintenant d’autres sources de culture aussi : des salles numériques, des livres audio. Cette médiathèque, c’est un lieu de vie et de partage. J’aimerais aussi insister sur un point : le savoir, la culture, ce n’est pas triste. Il faut qu’on ait envie d’aller dans cette médiathèque.

Vous, quels ont été vos premiers souvenirs forts de lecture ?

C’est « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell, que j’ai lu à 8 ans. Ma mère l’avait acheté et en parlait avec les clients de son café-épicerie. Je m’étais jetée sur ce livre, mais forcément à 8 ans, je n’avais pas tout compris. Ce livre évoquait la guerre de Sécession, mais je ne savais pas du tout de quel côté il fallait que je me place. A l’époque, je prenais bien sûr fait et cause pour Scarlett (sudiste). Ce n’est qu’après que j’ai découvert que c’était sujet à caution.

La lecture, c’est une habitude, qui n’est pas toujours évidente à prendre. Comment fait-on pour faire aimer les livres à quelqu’un qui en est a priori éloigné ?

Je dirais qu’il faut trouver le livre qui va vous faire rentrer dans cette habitude. Il y a forcément un livre qui vous intéresse. Mon père par exemple n’aimait pas lire, il me disait d’ailleurs une chose terrible : « les livres, c’est bon pour toi ». Mais même lui aimait Guy de Maupassant, parce que ses histoires se déroulaient en Normandie, dans des endroits qu’il connaissait. Il faut qu’un livre vous parle quelque part, sauf à avoir pris l’habitude de se dépayser. Il n’y a pas à mon avis de mauvaise lecture. Les BD ou les mangas dont sont friands certains jeunes, ça peut par exemple être une bonne porte d’entrée vers la lecture.

En ce jour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, quels sont selon vous les terrains qui sont encore à conquérir pour une égalité femmes-hommes ?

D’abord vous dire que je déteste cette journée. Le jour où elle disparaîtra, je serai heureuse, ça voudra dire qu’il n’y en a plus besoin, mais je ne le verrai pas de mon vivant. Ensuite, ces terrains sont multiples. On peut citer la monopolisation de la parole par les hommes ou encore l’égalité salariale. Tant de choses sont à faire.

Photo : ©Nicolas Moulard

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *