A la Ressourcerie du cinéma, les décors de films retrouvent une seconde vie

A la Ressourcerie du cinéma, les décors de films retrouvent une seconde vie
Cinéma

Implantée à Montreuil depuis deux ans, l’association La Ressourcerie du cinéma récupère des éléments de décors utilisés sur des tournages et promis à la benne pour les remettre sur le marché. L’objectif : limiter le gaspillage et les déchets, qui sont produits en grand nombre par l’industrie audiovisuelle. Reportage dans cette véritable caverne d’Ali Baba du recyclage.

Des morceaux de toits parisiens en faux zinc, des reproductions de portes (de bistrot, de prison, de château fort), des rochers en polystyrène, des poutres de style Eiffel en bois, des ordinateurs, des téléviseurs et des abat-jours d’un autre temps. Dans le hangar de la Ressourcerie du cinéma (1100 m2 de surface au sol), les rayonnages débordent d’éléments de décors ayant servi sur des tournages de films ou de séries. Dans un coin, des fûts radioactifs, qu’on imagine tout droit sortis d’un film catastrophe, voisinent avec des morceaux de colonnes romaines en plâtre aperçues dans le dernier Astérix (« L’Empire du Milieu »). Installée depuis 2021 dans la zone d’activités Mozinor, à Montreuil, après avoir occupé durant quelques mois un entrepôt à Bagnolet devenu vite trop exigu, la petite équipe de la Ressourcerie (cinq employés dont une bénévole et un alternant) sauve de la déchetterie des éléments de décors issus des métiers de la culture pour les proposer au réemploi.

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Un projet né d’un constat aussi simple qu’édifiant : les secteurs d’activité du spectacle, de l’audiovisuel et du cinéma sont extrêmement polluants. Selon une étude publiée en 2020 par le collectif Ecoprod, le secteur audiovisuel en France émet l’équivalent de 1 705 560 tonnes de CO2 par an, soit environ 700 000 vols Paris-New York aller-retour. Les décors, jetés à la benne après quelques jours d’utilisation seulement, voire parfois quelques heures, produisent à eux seuls un quart de l’impact carbone d’un tournage. « Avec l’arrivée des séries, la production des déchets est de plus en plus importante, détaille Isabelle, une des fondatrices du lieu, qui, à l’instar de la plupart de ses collègues, vient des arts du spectacle. Une fois la séquence du film terminée, le bois de construction, les différents sols, les parquets, les moquettes, les portes, les fenêtres, les panneaux décoratifs, etc. partent en déchetterie. Tous ces décors, la plupart neufs, et même parfois jamais utilisés, vont à la poubelle, c’est une hérésie ! Avec nos amis et connaissances officiant dans le décor éphémère, nous avons voulu changer la donne et prouver qu’il était possible de réduire l’empreinte carbone. »

Aucune association équivalente en Ile-de-France

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Si la multiplication des plateformes de streaming (Netflix, Prime Vidéo, Apple TV+…), devenues ces dernières années de grosses pourvoyeuses de films et de séries – dont beaucoup sont tournées en France – rend plus difficile encore la tâche de la Ressourcerie, cette dernière pointe aussi du doigt une façon de faire dans les métiers du cinéma qui n’est aujourd’hui plus viable mais qui a la vie dure. « Pour que les sociétés de production démontent proprement les décors, il faudrait qu’elles y consacrent du temps mais dans ce métier le temps c’est de l’argent, chaque heure est comptée, fait remarquer Isabelle. Paradoxalement, elles louent des bennes pour aller plus vite mais cela leur coûte quand même très cher. Nous, ce qu’on leur propose, c’est, plutôt de dilapider de l’argent dans une déchetterie, d’investir dans des équipes missionnées pour récupérer les éléments de décor. A l’arrivée, tout le monde y gagne : l’industrie audiovisuelle et la planète. »


Pour la Ressourcerie, le défi est de taille. D’abord, parce que si l’éco-responsabilité commence à imprégner les mentalités du cinéma et que des bonus à l’éco-production sont attribués à certains projets, aucune obligation en la matière n’est encore en vigueur dans ce secteur. Ensuite, parce qu’Isabelle et ses compagnons se sont lancés dans une activité qui comptent encore très peu d’acteurs. En Ile-de-France, qui accueille 80 % des tournages de l’Hexagone, ils sont tout simplement les seuls. Peu après sa création, pour sortir de son isolement, l’association a rejoint le RESSAC (réseau national des ressourceries artistiques et culturelles), qui réunit l’ensemble des protagonistes du réemploi culturel pour travailler collectivement sur des enjeux communs et partager expertise et expérience. « Dans le département, grâce au RESSAC, on collabore avec la Réserve des arts, une structure basée à Pantin qui opère dans les métiers de l’artisanat et le Collectif Costume à Saint-Ouen, raconte Isabelle. Ce sont des partenaires précieux mais il faudrait qu’à l’avenir d’autres associations comme la nôtre pointent le bout de leur nez car notre flux d’entrée, c’est le cinéma, et nous avons besoin de soutien. »

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Dans leur entrepôt, les Robin des Bois du décor n’ont pas le temps de musarder. Avant d’être vendus ou loués, les éléments de décor récupérés (à titre de don) sont nettoyés, rangés dans les rayonnages, étiquetés puis enregistrés dans un fichier informatique. Fût-elle millimétrée, cette organisation date seulement du mois de janvier dernier. « Auparavant, on passait parfois des heures à chercher une pièce car nous ne l’avions pas étiquetée, sourit Isabelle. Pour éviter de s’arracher plus de cheveux et y voir plus clair, nous travaillons désormais à l’aide d’un logiciel de gestion des stocks. » Les clients sont en grande majorité des professionnels du cinéma, mais aussi du BTP, des architectes d’intérieur, des propriétaires de salle d’escape game et parfois des particuliers. « Nous servons de lien entre les matériaux et les acquéreurs. Notre espace est aux éléments de décor ce qu’une librairie est aux livres. Nous sommes aussi là pour distiller des conseils et sensibiliser les professionnels du décor à construire plus écologique. Notre credo, c’est tout sauf la benne », souligne la cofondatrice qui, avec ses collègues, a jusqu’ici évité que soient mis au rebut quelque 200 tonnes de décors.

Accueillir des équipes de construction de décors pour venir travailler sur place

Les éléments les plus recherchés par les visiteurs sont les feuilles de décor, des châssis de bois surmontés de contreplaqué sur lequel on applique la matière et qui servent à créer les murs des décors de cinéma – des feuilles qui sont ensuite jetées en grandes quantités une fois le tournage terminé alors qu’elles sont réutilisables en l’état… Le plexiglas, qui est proposé deux fois moins cher que dans le commerce, rencontre aussi un grand succès. « Notre souhait le plus cher est que les pros ne travaillent qu’à partir de matériaux dénichés dans notre hangar pour réduire leurs dépenses et leur consommation », prêche Isabelle.

Depuis quelques semaines, la Ressourcerie du cinéma aménage de nouveaux espaces pour accueillir d’ici mars prochain des équipes de construction de décors qui, moyennant un loyer, viendraient créer sur site. L’association envisage également de mettre en place, avec Make ICI Montreuil, un réseau national de manufactures collaboratives, et avec le Fablab La Verrière de Montreuil, des formations et autres workshops (ou atelier collaboratif) à destination des professionnels du décor pour réfléchir à la problématique du recyclage et de la gestion des déchets. Enfin, l’association projette d’inventorier son stock sur un site Internet afin que les chefs décorateur puissent faire leur marché en ligne. Et espère trouver un jour des locaux annexes pour stocker davantage car « on ne peut pas pousser les murs », déplore Isabelle. Qui ajoute : « Si on pouvait dupliquer notre concept directement dans les studios de production, ce serait fantastique. On pourrait ainsi s’éviter le transport. » La Ressourcerie du cinéma a décidément plus d’un tour dans son sac (en kraft) en matière de développement durable.

Grégoire Remund
Photos : ©Patricia Leconte

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