Pantin Formation

À Pantin, avec les créateurs de demain

Ouverte en mars 2015, la Maison des Compagnons du Devoir de Pantin, spécialisée dans le travail du cuir, attire des jeunes de toute la France. Petite journée en immersion dans cette institution à cheval sur l’excellence et le vivre-ensemble.

« Là, je suis en train de réaliser un sac-cartable en cuir. » Florianne répond à nos questions tout en continuant à manier un fer qui lui sert à lisser les tranches des morceaux de cuir qu’elle s’apprête à assembler. Comme les 15 autres élèves de l’atelier maroquinerie de la Maison de Pantin, cette jeune femme de 22 ans, habitante d’Aubervilliers, met beaucoup de coeur à l’ouvrage. Compagnon du Devoir, c’est justement plus qu’un devoir : une passion.

Quand Florianne est entrée en septembre dernier dans la toute nouvelle Maison de Pantin, spécialisée dans le travail des matériaux souples, cette ancienne graphiste aspirant à une reconversion s’est tout de suite laissée prendre par l’ambiance studieuse mais aussi familiale du lieu. Ici, en compagnie de sa professeur Hélène, elle a appris à perfectionner ses techniques de travail du cuir, à stimuler sa créativité, à gagner en rapidité aussi.

Le CAP de fin d’année - qu’elle prépare via une formation en alternance comme l’ensemble des 270 apprentis du lieu - se présente plutôt bien. Deux semaines chez les Compagnons, deux semaines chez Hermès, le maroquinier de luxe qui a noué un partenariat avec la Maison voisine : voilà le rythme qui berce la vie des « lapins » de Pantin, terme affectueux par lequel les Compagnons désignent les jeunes apprentis. Dans la foulée, Florianne pourrait même se voir proposer une belle carotte : une embauche en CDI chez Hermès, très fortement intéressé par le degré d’exigence des Compagnons du devoir.

« Le fait que nous nous soyons installés à Pantin il y a un peu plus d’un an n’est pas directement lié à la présence d’Hermès dans le secteur. C’est plutôt que de manière plus générale, nous savons qu’il y a en Seine-Saint-Denis des opportunités de recrutement, des jeunes motivés par le fait d’apprendre un métier technique », tempère Simon Voyer, directeur des lieux, ou – pour reprendre la terminologie des Compagnons – prévôt de la Maison.

Même s’il apprécie la perspective d’une future embauche dans un monde où règne plutôt la précarité, Bryan, compagnon de promo de Florianne, est lui tenté par d’autres horizons. « Je profiterais bien du fait d’être chez les Compagnons pour entamer un tour de France », explique ce jeune homme de 20 ans, originaire de Villepinte. Chez les Compagnons existe en effet la possibilité, après son diplôme en alternance, de prendre la route pour perfectionner son savoir-faire durant 3 à 5 ans. « J’aimerais voir du pays et me confronter à des cultures où l’artisanat n’est pas forcément synonyme de luxe », commente Bryan, qui avoue déjà secrètement penser à l’Irlande.

Après une pause déjeuner chaleureuse mais assez brève – une heure dans la salle à manger attenante- la journée se poursuit. Au pôle sellerie – un autre corps de métier faisant partie du pôle des matériaux souples avec la cordonnerie, la tapisserie et donc la maroquinerie – Samuel est penché sur une bâche de caravane ou de camion. Ce touche-à-tout, commercial auparavant pendant 6 ans dans l’informatique, incarne quant à lui une autre famille des Compagnons : la formation continue pour adultes. A 35 ans, ce passionné de la restauration des anciennes voitures a décidé de transformer son violon d’Ingres en métier, en suivant pendant un an une formation de sellier à Pantin.

« J’ai toujours été frustré de ne pas en faire plus avec mes mains. Donc je me rattrape maintenant. Pour un métier recherché comme l’est la sellerie, je trouve ça incroyable qu’il n’y ait pas plus de structures ou d’opportunités de formation. La preuve, en sellerie, il n’y a rien au-delà du CAP... », fait remarquer ce débrouillard, qui a déjà trouvé un point de chute professionnel à l’issue de sa formation : à Caen, chez un sellier général.

Mais à côté des matériaux souples, la Maison de Pantin possède aussi d’autres spécialités. Au sous-sol, Xavier, autre formateur, inspecte ainsi les travaux des apprentis de sa classe de plomberie. Louis, Joffrey et les autres avaient la journée pour assembler une tuyauterie en acier noir, à partir d’un schéma donnant les mesures de l’installation. Un exercice inspiré du BEP que préparent l’ensemble des 10 apprentis. « Moi j’ai choisi la plomberie parce que je suis bricoleur depuis tout petit. Idéalement, j’aimerais ouvrir ma propre boîte plus tard », explique Louis, 17 ans, de Villemomble et en alternance chez un entrepreneur de Forges-les-Bains (Essonne). Sébastien, un Bondynois de 19 ans, est lui moins pressé d’entrer dans la vie active. Lui aussi se laisserait bien tenter par un tour de France. « La Réunion, ça me fait rêver », confesse le jeune homme au milieu du raffut des meuleuses et des chalumeaux.

Et c’est ainsi tous les jours : du matin au soir, excepté les week-ends, la ruche de Pantin retentit du bruit soyeux ou rugueux de ses petites mains. Aux corps de métier déjà évoqués s’ajoutent la boulangerie, la chaudronnerie et la métallurgie, dont les cours se déroulent eux à Bobigny grâce à un partenariat avec la chambre des métiers. A cette activité s’ajoute le ballet des journées d’information (tous les mercredis) et les entretiens de motivation pour recevoir les nouveaux candidats.

Ouverte depuis un peu plus d’un an, la Maison n’a pas tardé à profiter de la bonne réputation des Compagnons. « Même si on ne l’inscrit pas forcément sur un CV, un employeur ne s’y trompe pas : quand il reçoit la candidature d’un compagnon, généralement, il le lit entre les lignes », affirme Nolwenn, jeune apprentie maroquinière montée dans sa chambre d’internat pour la pause. Interne comme 140 autres apprentis, elle nous fait faire le tour du propriétaire. Dans les couloirs du dortoir, on peut lire des pancartes cabalistiques comme « Ile-de-France boulangère » ou « Normand vertu de patience ». « C’est un code entre nous », explique la jeune femme native des Hauts-de-Seine. « Chaque compagnon est censé pouvoir être désigné par sa région d’attache et une qualité acquise ou à acquérir. Vous voyez, en fait, nous sommes une grande famille », rigole-t-elle.

Christophe Lehousse

L’adresse de la Maison des Compagnons du Devoir et du tour de France : 22, rue des Grilles, Pantin

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