Cinéma Aulnay-sous-Bois

A Aulnay, Steve Tientcheu veut transmettre la flamme du jeu

Déjà connu comme comédien, l’enfant de la Cité des 3000 est passé derrière la caméra à l’occasion de son premier court-métrage, « La Chimère ». Une métaphore sur l’enfermement mental, réalisée avec de nombreux habitants d’Aulnay, recrutés via la nouvelle pépinière « Le Cinéma à Ciel Ouvert » avec laquelle Tientcheu espère mettre le pied à l’étrier à d’autres habitants issus des quartiers populaires.

Il était déjà connu pour ses rôles dans « Les Misérables », de Ladj Ly, ou dans « La Nuit des Rois », de Philippe Lacôte. Cette fois cependant, il n’est pas devant la caméra, mais derrière. Steve Tientcheu vient de réaliser son premier court-métrage, La Chimère, avec la complicité d’un autre enfant d’Aulnay, Tarik Laghdiri. « La Chimère », c’est l’histoire de Madi, petite frappe un peu paumée qui revient à Aulnay après 8 ans passés en prison. « Mais le vrai sujet du film, c’est l’enfermement mental, qui peut toucher pas mal de monde de façon différente. Après, il se trouve que j’ai pensé à quelqu’un qui sortirait de prison parce que c’est un exemple que j’ai déjà eu sous les yeux. », explique Steve Tientcheu.
Il s’agit en fait d’une double première puisque le film est aussi né d’une école de cinéma gratuite, « Le Cinéma à Ciel Ouvert » que le comédien de 39 ans a mise sur pied à Aulnay à cette occasion. « L’idée, c’est de rendre un peu à la ville ce qu’elle m’a donné. Malgré les récentes ouvertures du cinéma et du théâtre aux quartiers populaires, ça reste dur pour un jeune de là-bas de faire son trou dans ces milieux. », commente l’enfant de la cité La Rose des Vents qui a donc avec ce tournage souhaité donner sa chance à des habitants d’Aulnay, aspirants comédiens.

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Parmi eux Reda Benzora, bluffant d’assurance dans le premier rôle de La Chimère. La prestation de cet Aulnaysien « pur jus » de 42 ans, qui n’avait jamais joué auparavant, est impressionnante. « Honnêtement, c’a été une super expérience. Au départ, je n’étais pas pressenti pour jouer le personnage principal, mais Steve fonctionne à la motivation. Et de la motivation, j’en avais », assure ce restaurateur qui aura répondu au casting après avoir été mis au chômage forcé par la pandémie de Covid. De là à se rêver en comédien professionnel ? « Pourquoi pas ? S’il y a une suite, tant mieux. Mais mon but, ce n’est pas que de réussir moi. J’aimerais bien que d’autres jeunes aussi aient cette chance. Ces portes-là, on n’osait pas les pousser avant », poursuit Reda, rempli de « fierté » à la première de La Chimère, organisée fin janvier au cinéma Jacques-Prévert de la ville, qui aura réuni 700 personnes.

Ecriture d’un long-métrage

D’autres, comme Sevda Bozan, un des seconds rôles du court-métrage, voient aussi dans cette nouvelle école une opportunité pour de jeunes acteurs en devenir. « Je suis comédienne professionnelle, mais je n’ai jamais fait d’école parce que c’est trop cher. Là, je pense vraiment que cette formation apporte des outils et un bagage nécessaire. Pendant un mois, on a pu se former à l’acting, à la danse ou suivre un renforcement physique, ça m’a vraiment enrichie. » Pendant un mois, les 150 participants à la Chimère (acteurs principaux, mais aussi figurants) ont en effet pu suivre dans les locaux de la Ferme du Vieux-Pays les cours de l’actrice Delphine Zingg (Lola et ses frères, Normandie Nue), du danseur Christian Andongui ou du coach sportif Adama Dieye. « On espère en former le double sur la prochaine promotion », glisse Steve Tientcheu, qui annonce d’ores et déjà l’écriture d’un long-métrage sur un thème qu’ils ne veulent pas encore dévoiler.

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Le Cinéma à Ciel Ouvert, c’est justement une idée dont aurait souhaité bénéficier Steve Tientcheu. Ce colosse capable de jouer les durs à cuire, mais aussi les personnages plus fragiles, a déjà une belle filmographie derrière lui, même si rien ne lui a été donné.A 25 ans, l’Aulnaysien arrête son travail de médiateur dans un cabinet médical et prend son courage à deux mains pour réaliser un rêve d’enfance : tenter l’aventure dans le théâtre et le cinéma. Seulement, à l’époque, les écoles de cinéma ne sont pas franchement des modèles de mixité sociale. Qu’à cela ne tienne, Steve, assoiffé de connaissances, se paiera le Cours Simon pour apprendre auprès des meilleurs. « C’est loin tout ça, se souvient en soufflant l’enfant des 3000. J’y avais croisé des préjugés, mais moi aussi, j’en avais sur mes camarades de promo... Certains me voyaient peut-être comme un dealer. Mais pour moi, c’étaient des bobos, donc ils n’avaient soi-disant aucun problème alors qu’ils en avaient ! Sans doute pas d’argent, mais peut-être familiaux, sentimentaux etc. Il y avait effectivement des préjugés, mais ça ne m’a pas empêché d’avancer. »
Une expérience entre plaisir de la découverte et sentiment de décalage que la réalisatrice Alice Diop, également d’Aulnay, avait fixée sur pellicule dans le documentaire « La Mort de Danton ». Le film repassera d’ailleurs le 14 février à Beaubourg en même temps que La Chimère, dans le cadre de la carte blanche donnée par le musée à la documentariste, gagnante en 2017 du César du meilleur court-métrage pour « Vers la tendresse ». Prendre la parole pour raconter des histoires fortes, et pas que des histoires de banlieue, ce n’est en tout cas plus une chimère.

Christophe Lehousse
Photos :
une : ©Eric Garault
©Abdel Naitaddi

La Chimère, un court entre réalisme et fantastique

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Regard noir et verbe confus, Madi a encore plus la rage que lorsqu’il est entré en prison. Huit ans ont passé, mais il est bien décidé à reconquérir tout ce qu’il avait dû abandonner : son « territoire », son oseille et sa femme. Sans vouloir se rendre à l’évidence : le monde, entre temps, a avancé sans lui. « Film sur l’enfermement mental, bien plus que sur la banlieue », La Chimère touche juste par son étude psychologique et sa sensibilité entre réalisme cru et onirisme. On y voit aussi le Aulnay réel et sublimé de Steve Tientcheu : le parc urbain Robert-Ballanger et le souvenir du centre commercial Le Galion, connu pour ses battles de break-dance dans les années 90. Le court, écrit par Steve Tientcheu et Tarik Laghdiri, doit maintenant être présenté dans différents festivals.

- Projection de La Mort de Danton, suivi de La Chimère le lundi 14 février à 14h30 dans le cadre de la carte blanche donnée par le musée Beaubourg à Alice Diop

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