50 ans du Procès de Bobigny : Le bâtiment K, lieu historique du Procès

50 ans du Procès de Bobigny : Le bâtiment K, lieu historique du Procès
Patrimoine

Niché au cœur de l’ancienne cité administrative du parc départemental de la Bergère à Bobigny, ce petit bâtiment est typique de l’architecture de la fin des années 60 avec ses façades dessinées et sa toiture animée. Il y a cinquante ans, le bâtiment K fut le théâtre d’une bataille aussi juridique que politique, celui du célèbre Procès de Bobigny ! On vous l’explique en vidéo.

Le bâtiment K se retrouve aujourd’hui bien isolé dans ce secteur en pleine restructuration. Pourtant en 1972, devant et à l’intérieur de ses murs s’est déroulé un procès historique qui a changé le destin de beaucoup de femmes et de la société française. Le Procès de Bobigny englobe en réalité deux audiences. Il y a d’abord celle de Marie-Claire Chevalier qui se tient à huis-clos au Tribunal des enfants au mois d’octobre dans un bâtiment aujourd’hui détruit.

Puis vient le second procès. Plus retentissant, il a lieu en novembre dans le bâtiment (qui appartient désormais au Conseil départemental) abritant la cour d’assises et les salles pénales du tribunal de grande instance provisoire. Quatre femmes, Michèle la mère de Marie-Claire, la femme qui a réalisé l’opération et les deux collègues de travail de Michèle qui les ont mises en relation, sont jugées pour l’avortement clandestin de Marie-Claire. Si une foule de militantes féministes, de journalistes, de personnalités comme Simone de Beauvoir ou Michel Rocard ont fait le déplacement à Bobigny, c’est qu’il se joue un épisode crucial de la lutte des femmes pour leur émancipation.

Ce 8 novembre 1972, la petite salle choisie est bien sûre bien trop exiguë pour contenir le public qui scande à l’extérieur « l’audience est publique, laissez-nous entrer ! ». Mais un micro est introduit et enregistre la défense de Gisèle Halimi l’avocate des Chevalier, dont la plaidoirie entrera dans l’histoire du droit.

Marie-Claire a 16 ans quand en 1971 elle est violée par un garçon qu’elle connaît. Quand sa mère découvre sa grossesse, elle lui propose de garder l’enfant mais la jeune fille n’en veut pas. Modeste employée de la RATP élevant seule ses trois filles avec 1 500 francs mensuels, Michèle n’a pas les moyens d’accepter la proposition d’un gynécologue qui peut avorter sa fille contre 4 500 francs. L’acte abortif « artisanal » tourne mal. Marie-Claire fait une hémorragie et est hospitalisée. Son violeur arrêté pour vol de voiture les dénonce dans l’espoir d’être relâché par les policiers.

Convoquées avec sa fille au tribunal, Michèle Chevalier contacte Gisèle Halimi. L’avocate lui propose de ne pas demander la clémence et le pardon de la cour comme habituellement mais d’assumer l’IVG pour créer un précédent et mettre fin à cette hypocrisie de classe ; les milieux aisés pouvant se payer un gynécologue ou une clinique à l’étranger quand les femmes pauvres doivent se contenter de méthodes « maison » comme les aiguilles à tricoter avec tous les risques d’infections, de blessures voire de mort encourus. Michèle accepte la médiatisation même si le prix à payer sera lourd pour sa fille (déscolarisation, changement de nom, déstabilisation sociale et émotionnelle). Elle accepte aussi que le procès devienne un acte militant. Grâce à ce combat, le talent oratoire de Gisèle Halimi, le soutien d’associations et de personnalités, Marie-Claire est relaxée et sa mère condamnée à 500 francs d’amende avec sursis. Après cette date, la loi de 1920 qui criminalisait l’avortement ne sera plus appliquée et la loi Veil sur la légalisation de l’avortement votée en 1975.

Outre l’évolution sociétale, les textes de loi, il reste de cette époque la salle d’audience quasi inchangée dans ce bâtiment K qui abrite temporairement des services du Département, et, qui fut il y a cinquante ans le théâtre d’une bataille aussi juridique que politique !

JPEG - 188.2 ko

Marie-Claire Chevalier est décédée le 23 janvier 2022

Son prénom est devenu un symbole et le nom de la passerelle qui relie la dalle de Bobigny au Tribunal de Grande Instance. Un beau visage et une silhouette frêle. Née dans le Loiret, Marie-Claire Chevalier avait grandi en partie à Neuilly-sur-Marne et fait sa vie près d’Orléans où elle était devenue aide-soignante et avait élevé sa fille Jennifer née en 1988. Invitée exceptionnelle des Rencontres départementales de l’Observatoire en 2005 et récemment dans Libération, elle avait témoigné sur le traumatisme de l’épreuve du viol et le tourbillon des événements qui s’en suivirent pour elle. Devenue grand-mère, elle est morte en janvier d’’« une longue maladie ». Inhumée dans le cimetière de sa ville natale à Meung-sur-Loire, elle demeure à jamais vivante dans le Panthéon des femmes qui ont fait l’histoire par leur parcours de vie.

Crédits photo : VILLEDIEU SIPA / Jean-Paul CHAUSSE SIPA


Saviez-vous qu’il existe un atlas du patrimoine qui récence notre patrimoine architectural ? Voici la fiche détaillée pour approfondir l’histoire du bâtiment K de la « Cité 2 » à Bobigny !

JPEG - 205.8 ko

Cité administrative n°2, ancien Tribunal de Grande Instance, parc de la Bergère

En juin 1965, lorsque la Ville de Bobigny est désignée comme chef-lieu du nouveau département de la Seine-Saint-Denis, Michel Folliasson est l’architecte chargé de la construction de la cité administrative et des bâtiments afférents. Pour ce faire, sont acquis par voie d’expropriation de vastes terrains : d’une part, entre le canal de l’Ourcq et la voie de chemin de fer de la Grande Ceinture (actuel parc de la Bergère) pour y aménager la cité administrative provisoire, d’autre part, entre la voie de chemin de fer de la Grande Ceinture et la N86 pour y construire la cité administrative définitive, la gare routière, le centre culturel et le Tribunal de Grande Instance (TGI). La cité provisoire, dénommée aujourd’hui cité administrative n°2, compta au plus haut de son activité 18 bâtiments dont un mille-club et une crèche départementale.

La cité administrative provisoire n’a, comme son nom l’indique, pas pour but de durer mais bien d’accueillir les services de la préfecture et ceux du tout jeune Département en attendant la livraison de leurs bâtiments définitifs. Pour le compte de l’État, Michel Folliasson dresse, assisté de Jacques Binoux, un avant-projet d’aménagement de la cité provisoire dès juillet 1965, en l’implantant au plus près du chemin latéral et à l’extrémité ouest du futur parc.

Disposés autour d’une « cour d’honneur », les six premiers bâtiments (A, B, C, D, E, F) sont livrés entre 1966 et 1968 et accueillent dans un premier temps l’Inspection d’Académie et le Service de la Jeunesse et des Sports, l’Office départemental d’H.L.M., ou encore la Direction Départementale de l’Agriculture. Pour répondre à l’urgence, des appels d’offres restreints sont lancés auprès d’entreprises spécialisées dans la construction de bâtiments préfabriqués (Fillod, BSM, Jossermoz, STP, S.M.N.O). Ils seront complétés en 1969 par deux bâtiments implantés cette fois à proximité du canal (G-H et J) conçus par l’entreprise GEEP industries.

Quant à la cité administrative définitive, si les travaux démarrent en 1968, ils ne concernent que trois bâtiments (DDE, Trésorerie, Hôtel de la Préfecture). La construction du centre culturel, des archives départementales et du TGI ont en effet été reportés par manque de financement. Or, pour ce dernier et conformément à la loi, obligation est faite d’installer un TGI dans tout nouveau département, même avec une compétence limitée (pensions, expropriations, contentieux de la Sécurité sociale) dans les trois années suivant le vote de la réforme. Le Préfet propose alors d’installer un TGI de pleine compétence au civil, comme au pénal, dans les locaux libérés par la Préfecture, la DDE et l’action sanitaire dans la cité provisoire à la suite de la mise en service des bâtiments définitifs.

Le 20 janvier 1971, accord est donc donné par la Commission départementale pour que soit installé le TGI dans la cité administrative provisoire, mais aussi que soit construit un bâtiment supplémentaire pour les chambres pénales (bâtiment K). Les surfaces des préfabriqués sont en effet insuffisantes et partiellement inadaptées pour abriter la cour d’assises et les salles pénales, qui nécessitent de grands volumes et doivent garantir la sécurité tant des détenus que du personnel judiciaire. C’est l’architecte Dominique Dumond avec le concours du bureau d’étude Jacques Dumond et Pierre Leloup qui sont désignés en mars 1971. Si peu d’éléments existent sur la carrière de D. Dumond, en revanche J. Dumond est plus connu. Célèbre décorateur et professeur à l’École des Arts décoratifs et à l’école Camondo, membre de l’UAM, il prônait une esthétique moderne et s’attachait à concevoir le mobilier en fonction de l’ensemble architectural pour lequel il était destiné, s’intéressant aux matériaux nouveaux, tels le formica. Son rôle a peut-être été décisif dans l’aménagement intérieur et la conception du mobilier fixe.

Rejetant toute monumentalité, le bâtiment K s’inscrit clairement dans l’esthétique moderne des Trente Glorieuses et d’une justice dans son temps. Édifié en béton armé et complété par quelques trumeaux maçonnés en brique de Vaugirard, il est rythmé par une toiture composée de coques en béton armé, de type Silberkuls, qui recouvrent les salles d’audience. Au nombre de quatre – une salle d’assises (200 m²) et trois chambres pénales (130 m² chacune), celles-ci sont situées au RDC, chacune communiquant avec une salle des délibérations et une salle des témoins. Trois escaliers, dont deux réservés aux salles d’audience, permettent d’accéder au sous-sol, qui comprend bureaux et vestiaires des avoués, avocats, greffiers et substituts ainsi que les locaux de garde des déférés et des détenus. D’une très grande fonctionnalité pour garantir la plus grande sécurité des détenus, hommes de droit et du public admis aux audiences, les salles sont aménagées sobrement. Brique, béton armé et formica sont les seuls matériaux utilisés pour les box des accusés, les tables des jurés et témoins. Largement vitrées et baignées de lumière, ces salles pouvaient toutefois être obturées grâce à un système ingénieux de lames en acier pivotantes formant brise-soleil. Outre leur fonction pratique, ces lames, par leur rythme, animaient les façades comme le faisaient les coques hyperboloïdes ornant la toiture.

JPEG - 130.5 ko

Inauguré le 6 septembre 1972 par René Pleven, alors garde des Sceaux, ce bâtiment « d’une conception ultra moderne » sera aussi le premier TGI des tout nouveaux départements nés de la réorganisation de la Région parisienne à recevoir la pleine compétence. Il sera surtout le théâtre des deux audiences du procès historique dit Procès de Bobigny.

En activité jusqu’en 1987, année où sera inauguré le nouveau Tribunal de Grande Instance avenue Paul-Vaillant-Couturier, le bâtiment K fut utilisé depuis cette date comme lieu de formation ou de locaux temporaires pour des services du Département. Une réflexion est en cours pour lui donner une nouvelle affectation car il est ce jour le seul bâtiment avec le bâtiment GH et la maison du parc (2003) à avoir été conservé sur ce parc, les autres ayant fait l’objet d’une déconstruction progressive depuis 2007.

Lien direct vers la vidéo

Sources :

Pour en savoir plus

Bâtiment K, ancien Tribunal de Grande Instance

En juin 1965, lorsque la Ville de Bobigny est désignée comme chef-lieu du nouveau département de la Seine-Saint-Denis, Michel Folliasson est l’architecte chargé de la construction de la cité administrative et des bâtiments afférents.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *