2, 560 km de banquet et d’humanité entre Saint-Ouen et Saint-Denis

2, 560 km de banquet et d’humanité entre Saint-Ouen et Saint-Denis
Vivre-ensemble

Les deux villes ont battu dimanche un record symbolique : celui de la plus grande table du monde. Ce projet fédérateur, lancé par Yvan Loiseau, un artiste installé à Saint-Ouen, a rassemblé plusieurs milliers de personnes sur les quais de Seine, pour un moment de convivialité et d’échange des plus réussis.

En ce dimanche après-midi, Agnès, Stéphanie, Marion, Kemi et Sania ont sans le savoir endossé une lourde responsabilité. Côté Saint-Ouen, elles sont en bout de la table la plus longue du monde : 2,560 km très exactement entre Saint-Ouen et Saint-Denis, le long des quais de Seine exceptionnellement fermés à la circulation. « C’est une super idée. Ce qui nous manquait, c’est un prétexte pour qu’on se retrouve toutes », expliquent les 5 amies, toutes bénévoles au club de patinage de Saint-Ouen, que la fermeture depuis deux ans de la patinoire Chemetov a malheureusement fait entrer dans une zone de turbulences. « Nous, on a eu droit aux confinements, plus à la fermeture de la patinoire. Forcément, ça a disloqué certains liens. Alors, des moments festifs comme aujourd’hui, on en redemande », appuie Agnès Oliviero, présidente du Club des Sports de Glace de Saint-Ouen qui continue malgré tout d’exister.

Soleil, bureks et fanfare

Alors en ce dimanche ensoleillé, Agnès et les autres bénévoles ont choisi pour une fois de laisser glisser les petits soucis et de mordre à pleines dents dans les bureks de Sania ou les rillettes de thon de Stéphanie.

Au-dessus de Saint-Ouen, le ciel est bleu, les effluves des dombrés, boulettes de farine de blé préparées par un traiteur antillais juste à côté, épicent l’atmosphère et les flonflons de la fanfare des Kosmonot font entrer en apesanteur.

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Ce prétexte pour faire se rencontrer plusieurs milliers de personnes entre Saint-Denis et Saint-Ouen, on le doit à Yvan Loiseau, artiste plasticien de Saint-Ouen qui, comme il aime à le répéter, a fait des gens sa matière première. Deux ans et demi de boulot et 12 répétitions dans différents quartiers de Saint-Ouen et de Saint-Denis plus tard, ce doux rêveur transformait l’essai : un long dimanche de boustifaille. Etincelle de départ, l’artiste ne tirait cependant pas la nappe à lui, la jouant collectif puisque 150 bénévoles étaient à pied d’œuvre dès 6 heures du matin pour tout préparer et que 40 associations avaient répondu à son appel.

Deux ans et demi de boulot

Aux alentours de 15h, au moment du pousse-café, le record était très officiellement homologué par un représentant du Guinness book, envoyant le précédent – établi en Italie en 2015 – aux oubliettes. De quoi renforcer aussi la candidature de Saint-Denis et de tout le département au statut de Capitale européenne de la Culture 2028, pour lequel la ville a choisi de jouer sur ses points forts : une identité populaire et métissée.

Les AMAP en force

Un peu plus loin, en suivant les contorsions de la table-serpent, on parvenait aux tomates bio et au cake au pesto de Claudette et Stéphanie, fières représentantes des Amap de Saint-Ouen (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne). « On n’a pas si souvent l’occasion de se retrouver entre les 4 Amap de Saint-Ouen », soulignait Claudette, Audonienne pur jus et trésorière d’Amapuces, la toute première du genre fondée il y a 13 ans. « On a créé ces Amap pour montrer qu’on peut bien manger pour pas trop cher. Les demi-paniers tournent autour de 9 euros. Mais on a aussi des tarifs solidaires parce qu’on sait qu’il y a aussi des gens en grande précarité », complétait Stéphanie, inscrite elle à Amap Paz dans les quartiers de Pasteur-Arago et Zola.

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Les associations de Pierrefitte à la plus grande table du monde

Tchaktchouka et Besboussah

« Partager un repas avec un inconnu dans la rue, c’est partir en vacances. Et laisser nos papilles faire des châteaux des sable », écrivait Yvan Loiseau dans le manifeste scotché sur les nappes de sa plus longue table du monde. Notre voyage nous emmenait donc ensuite en Algérie, grâce au poulet mariné et à la tchaktchouka, gratin d’oignons typique de Kabylie, préparés par l’association Fée mains de Pierrefitte. Née en plein milieu du Covid par un besoin de solidarité accrue, cette association était bien représentative du fort réflexe d’entraide commun à beaucoup d’associations de Seine-Saint-Denis.

« Par cette journée, on veut aussi montrer que dans le 93, on a des idées et de la solidarité. Mais bizarrement, c’est moins mis en avant par les medias qui préfèrent s’attarder sur les problèmes. », regrettait Marie Pachetty, présidente de la régie de quartier RAPID de Pierrefitte qui emploie 4 personnes au Bocal, un restaurant d’insertion, et une quinzaine d’autres aux espaces verts.

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Le temps de savourer une « besboussah », petit gâteau de semoule au miel confectionné par Samia, et on filait « faire la fête aux fautes » à la dictée géante de Rachid Santaki. Cet écrivain originaire de Saint-Denis, qui a campé l’action de plusieurs de la plupart de ses romans en Seine-Saint-Denis, invitait, l’espace d’une dictée, à transformer la plus longue table en plus long banc d’école du monde.

« La langue, comme les repas, est quelque chose qui nous rassemble », constatait cet amoureux des mots, engagé depuis maintenant 9 ans dans ses dictées géantes. Et de dicter aux convives : « Les participants en plein coudoiement venaient de becqueter, voire de ripailler. » On ignore s’il y eut un 0 fautes, et on s’en moque d’ailleurs. On peut en tout cas être sûr qu’à la plus grande table du monde, il y eut zéro faute de goût.

Photos : ©Nicolas Moulard

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