Saint-Denis Festival Livres

Yancouba Diémé, « Boy 93 »

Juste avant la fermeture des écoles due au Covid, ce jeune auteur passé par le Master de création littéraire de Paris-8 s’est rendu auprès de deux classes du lycée Angela-Davis de Saint-Denis. La rencontre, organisée dans le cadre du festival Hors Limites, qui se déroule jusqu’au 10 avril, a porté sur son premier roman, « Boy Diola ». Un hommage à son père parti du Sénégal dans les années 60 pour venir travailler en France, dans les usines Citroën à Aulnay. Interview.

Votre livre est un hommage à votre père, parti du Sénégal à la fin des années 60 vers la France, pour finalement s’établir à Aulnay et y travailler pendant 14 ans dans les usines Citroën. Pourquoi avoir voulu lui rendre cet hommage ?

Parce que j’ai toujours trouvé sa vie très riche. Il y a un tas de gens qui pensent à tort que les immigrés ont des petites vies figées, transparentes, mais ce n’est pas le cas… Mon père, sa vie ne se résume pas qu’à ouvrier chez Citroën. Petit, il a travaillé avec ses frères et sœurs dans les rizières en Casamance. Ensuite, la sécheresse gagnant, il est allé gagner sa vie à Dakar, puis en Côte d’Ivoire, puis au Liberia... Avant de partir de son propre chef vers l’Europe en embarquant dans un bateau qui partait de Dakar pour Marseille. Il m’a aussi raconté le Paris des années 70, quand ils sortaient entre copains. Je voulais raconter tout ça, cette vie de joies et de peines. Une vie quoi…

Votre livre s’ouvre sur cette scène où vous êtes tous deux devant la télé et où vous voyez des migrants arriver en Corse par bateau. C’est un élément déclencheur à votre envie de récit ?

Oui. Cette scène se déroule en 2010 : on est tous les deux devant la télé, et on voit au JT des migrants qui arrivent en Corse par bateau. Cette scène a mis mon père en colère, il m’a dit tout d’un coup : « Moi aussi j’ai vécu ça ». Ça m’a surpris parce que j’avais toujours pensé que mon père était arrivé en France par avion et c’est à ce moment que je me suis aperçu que je connaissais très mal sa vie. Je me suis alors mis en tête de lui poser des questions en vue d’écrire ce livre, mais discrètement, car mon père est quelqu’un de très pudique et il n’aurait pas compris qu’on puisse vouloir écrire un livre sur lui.

Pourquoi ce titre, "Boy Diola" ?

Mes deux parents sont Diola, un peuple qui vit dans le Sud du Sénégal, en Casamance. Ma mère est malheureusement décédée quand j’étais jeune. Le temps passant, mon père me demande de plus en plus de noter comment on dit tel mot en diola, où se trouve tel ou tel village. C’est une autre des fonctions de ce livre : faire un travail de mémoire familial et culturel, pour assurer une forme de transmission de cette culture.

Par ce livre, vous espérez donc aussi provoquer une forme de curiosité des jeunes envers leurs parents ?

Oui, il y a un peu de ça. C’est toujours bien de savoir d’où on vient, ce qui n’empêche pas de vivre sa propre vie. Je ne sais pas si les jeunes que j’ai rencontrés aujourd’hui vont poser des questions à leurs parents, je l’espère. Après, c’est aussi une autre génération, avec d’autres problématiques.

Vous êtes passé par le Master de création littéraire de Paris 8. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?

Je ne dirais pas que ça m’a aidé à écrire ce livre, dont j’avais déjà le projet. Mais ça m’a certainement aidé à trouver mon style, à accoucher de ma propre voix. Ce master, dont j’ai connu la première promotion, de 2013 à 2015, m’a beaucoup fait progresser par son exigence et l’émulation qu’il entraîne. Ça m’est très souvent arrivé de me dire, en entendant tel ou tel camarade lire ses textes : « c’est super, mais c’est pas moi  ». Du coup, le fait d’entendre d’autres créations m’a permis d’aller vers ma propre langue. Je dirais que mon français est un mélange entre celui que mon père parle et celui qu’on parle dans les quartiers, c’est celui des frérots et des sœurs, accessible quoi. Enfin, c’est le cas pour ce livre-là, ce qui ne veut pas dire que je n’en changerai pas pour un autre livre.

Les lycéens vous ont demandé au cours de la rencontre quel passage vous aviez préféré écrire…

Oui, j’ai bien aimé cette question d’ailleurs. Je dirais que ce sont les passages où mon père est au Sénégal, son enfance et adolescence. Car même si tout est vrai dans le livre, je pouvais davantage faire fonctionner mon imagination. Par exemple, je sais que mon père a travaillé dans un atelier de réparation à Dakar ou qu’il a voyagé en Côte d’Ivoire parce qu’il me l’a raconté. Mais pour le mettre en texte, il fallait que je recrée des scènes et ça c’est un travail d’écriture. L’arrivée en France, c’est plus près de moi donc plus compliqué à raconter.

Votre père vous a-t-il aussi parlé de ses années chez Citroën à Aulnay ?

Oui forcément. Il y a cette scène, forcément douloureuse, où il est licencié de son poste à PSA pour ne pas s’être laissé faire. Mais globalement, mon père est très attaché à Aulnay, puisque c’est là qu’il a vécu presque 30 ans de sa vie. Actuellement, il vit à Saint-Gratien, mais il va toujours acheter son pain à Aulnay-sous-Bois, quand il va faire ses courses, c’est à Aulnay, et le vendredi, pour la prière, il va à la mosquée à Aulnay.

Vous avez 30 ans, dont 6 passés à Saint-Denis. Pour vous, cette rencontre avec des lycéens de Saint-Denis, c’est un retour aux sources ?

Oui et non. C’est vrai que j’ai fait mon collège et lycée à Saint-Denis, des années auxquelles je repense avec plaisir. Mais c’était complètement différent à cette époque : voir ce lycée, ces rues, là où, quand j’avais leur âge, il n’y avait quasiment rien, que des terrains vagues ou le Saint-Denis « old town », c’est flippant ! On mesure le passage du temps. Pour moi, mon adolescence à Saint-Denis, c’est le vélo, le foot – je jouais beaucoup, mon rêve était même de devenir footballeur pro. Et aussi le foyer de travailleurs, rue des Fillettes, où on allait de temps en temps manger du tiep ou du mafé.

C’est aussi la Coupe du monde 98, à domicile ?

A cette époque, on était encore à Aulnay. Et puis, pour être très franc avec vous : en 98 moi j’étais plutôt pour le Brésil. Parce que c’est le pays du foot et aussi parce que jeune, c’était un peu la honte de supporter la France. On se revendiquait tous des pays de nos parents, « moi je suis Algérien, Marocain, Malien, Sénégalais ». Ce qui est paradoxal, parce qu’en même temps, pour rien au monde je n’aurais voulu aller vivre définitivement au bled. Pour les vacances ça oui, c’était le bonheur, mais pas pour toujours. C’était même la menace à la maison : « tiens-toi à carreau, ou je t’envoie au bled ! » Voilà pourquoi je dis aux jeunes d’aujourd’hui : c’est bien de revendiquer sa double culture, c’est même essentiel, mais vous êtes aussi français, que vous le vouliez ou non.

Vous intervenez à Hors Limites à plus d’un titre puisque vous travaillez aussi en médiathèque, à Epinay. Comment fait-on pour faire aimer la lecture aux jeunes ?

Déjà il ne faut pas croire que, comme j’ai pu l’entendre parfois, parce qu’on jeune ou parce qu’on est banlieusard, on ne lit pas. Je vois des jeunes qui se présentent souvent avec beaucoup d’ouvrages au moment de les emprunter ! Après, moi j’ai l’habitude de dire que quelqu’un qui n’aime pas lire, ça n’existe pas. Il y a toujours quelque chose qu’on aime lire : ça n’a pas besoin d’être des romans - des mangas, des BD, des journaux, c’est super aussi ! En général, plutôt que de donner tel ou tel conseil de lecture, j’essaie d’interroger les jeunes sur les livres qu’ils ont empruntés. Déjà parce que ça va me renseigner sur leurs goûts mais aussi parce que pour moi, les livres, c’est avant tout le partage.

 "Boy Diola", de Yancouba Diémé, Flammarion, 2019

Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos : ©Bruno Lévy

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Une rencontre inspirante

Ouvrir les médiathèques au plus grand nombre, faire venir la littérature à la rencontre de la vie : c’est le propos de Hors Limites. En dépit du contexte sanitaire, ce festival organisé par l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis a réussi le tour de force de maintenir son édition, en basculant une bonne partie de ses événements en ligne. Et juste avant l’annonce de la fermeture des écoles, il s’est glissé dans un trou de souris pour faire se rencontrer Yancouba Diémé et les lycéens d’Angela Davis.
« Comment votre père a-t-il réagi à la publication du livre ? » « Etes-vous retourné au Sénégal avec lui ? » « Pourquoi ne pas avoir raconté dans l’ordre chronologique ? » Les lycéens ont montré à travers leurs questions à quel point ils avaient été happés par le livre et la relation entre le narrateur et son père. « Ça m’a vraiment intéressée, confiait après coup Henda. Il nous a parlé de manière sincère, à cœur ouvert et la relation à son père est vraiment touchante » estimait cette élève de seconde qui confiait écrire aussi pour elle-même, « mais plutôt des histoires fictives, pour s’évader ». Pour leur enseignant de lettres Pierre Mathieu, le rendez-vous était également réussi : « Je les ai sentis très à l’écoute, concernés ». Ce jeune professeur, dont le but est aussi de « montrer à ses élèves que la littérature est une matière vivante », dit avoir choisi ce livre notamment pour la question de la relation aux parents. « La question des origines se pose à tout le monde, mais à Saint-Denis, ville métissée par excellence, elle se pose peut-être encore plus. En classe, l’étude de ce livre a conduit mes élèves à parfois se confier et à avoir un regard valorisant sur l’histoire de leurs parents. D’autres, qui n’en avaient jamais vraiment parlé avec les leurs, ont voulu en savoir davantage. Tout ça est bénéfique à leur construction. » Hors Limites a bien fait de persister et signer malgré le Covid.

A noter que le vendredi 9 avril sera d’ailleurs diffusée une rencontre-vidéo entre Yancouba Diémé et l’auteure et scénariste Karine Silla, autour de la culture diola, sur le site du festival Hors Limites

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