Résidences artistiques - Le feuilleton Pantin

Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°21)

Aujourd’hui, les 6e du collège Joliot-Curie à Pantin s’exercent pour leur concert de fin d’année à la Philharmonie, en compagnie de l’orchestre Les Siècles. Reportage.

Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte d’une résidence artistique dans un collège du département.

EPISODE 21
De Tupac à Stravinsky

Lorsque je les ai quittés, en décembre, les 6ème de la classe « Duke Ellington » venaient de tout juste de recevoir les instruments prêtés par la Philharmonie de Paris. Je me souviens encore d’Ismaël et Melvin, à cheval sur leurs violoncelles, ne sachant pas par quel bout frotter l’archet, à la découverte de ce nouvel ami comme d’un nouveau monde, l’oreille collée au corps de la bête, s’étonnant des vibrations dégagées à chaque corde pincée.

Quatre mois plus tard, j’ai hâte de les retrouver. Surtout ces deux-là.

« Tu vas voir, Melvin s’est révélé », me confie Jennifer Hardy, la violoncelliste des Siècles, accompagnée de Lætitia Ringeval, violoniste. Ce n’est donc pas un hasard si je m’installe à côté du jeune garçon pour ce come-back au collège Joliot-Curie.

Ismaël, lui, arrive en fanfare... ou plutôt en retard. Et lorsqu’il toque la porte de la classe, ses camarades sont déjà installés par famille d’instruments, formant un cercle autour de Jenny et Lætitia. Le gamin n’a pas fière allure et se faufile en glissant un « j’ai oublié mon violoncelle... » à son professeur agacé. Les enfants ont la possibilité d’emporter les instruments chez eux ou de les laisser en classe, ce que font la plupart d’entre eux, faute de place à la maison.

Melvin est un des premiers installés et, déjà, il frétille.
 « Qui a de la colophane ? », demande-t-il au groupe des violoncellistes reprenant à son compte un tic de musicien professionnel.
 « J’ai pas de chlorophane moi », lui répond Noura.
 « C’est pas de la chlorophane, c’est de la Co-lo-phane », la reprend Aslan.
 « Je dis comme je veux », rétorque-t-elle.

Les enfants s’amusent à se faire passer la boite de colophane en équilibre sur leurs archets. Après quelques minutes, ce qu’il reste du bloc de résine servant à lisser l’archet, arrive enfin jusqu’à Melvin après avoir explosé en plusieurs petits morceaux au sol. Le garçon esquisse une grimace pour signifier qu’il est désolé de ce qui vient de se produire et se met à frotter frénétiquement son archet contre la résine.

Pendant ce laps de temps, Ismaël a retrouvé son violoncelle qui était resté en classe cette semaine. Il avait oublié... « Et dire qu’il veut être président de la République ! » se lamente Noura.

Les élèves n’ont plus que quatre séances pour préparer le concert qu’ils donneront à la Philharmonie le 23 mai. Discrètement, les deux musiciennes et le professeur passent voir chaque élève pour leur demander leur taille, car tous porteront les mêmes T-shirts le jour du concert.

« On va commander des T-shirts ! Tous les mêmes ! Vous savez pourquoi ? », demande la violoncelliste. « Parce qu’on est une équipe ! » , s’exclame Noura, désignée chef de pupitre par les musiciennes. « Allez Noura, avance-toi ! Prends tes responsabilités ! Tu donnes un léger coup de tête pour battre la mesure pour les autres », lui expliquent les professionnelles.

« Tu peux daber aussi ! », suggère, espiègle, sa team violoniste. « Daber » vient de « dab », c’est un mouvement de danse hérité du hip-hop d’Atlanta et récupéré par les stars du foot. On trouve des tutoriels sur Youtube, dans lesquels des rappeurs américains expliquent que pour reproduire la gestuelle, il suffit de faire semblant d’éternuer sur son coude en gardant le bas opposé tendu jusqu’à l’index déployé. Le geste a fait le tour du monde, on « dabe » sur les réseaux sociaux de Téhéran à la Louisiane en passant par Paris et Abidjan. Je trouve le geste gracieux, il pourrait très bien être celui du faune de Debussy, imaginé par le chorégraphe Vaslav Nijinski. Finalement le « dab » aurait toute sa place ici, puisque les « Duke Ellington » travaillent eux aussi la thématique des ballets russes. Pour le concert, ils préparent des arrangements extraits du "Sacre du printemps" de Stravinsky et le Golliwog’s cake-walk de Debussy.

Durant chaque explication, Melvin se laisse aller à la rêverie, le menton posé sur son violoncelle, la tête appuyée contre le manche de l’instrument, il se balance doucement et frotte sa joue contre le bois verni. A sa droite, Aslan, lui, fait du derbouka sur la caisse de résonance du violoncelle.

« La note la plus aiguë c’est … ? », interroge Jenny.
« Mi » s’empresse de répondre Melvin, pas si absent.

Les exercices commencent et je découvre que les collégiens apprennent la partition par cœur grâce à un système de décompte rythmique et d’accents toniques. Jenny chante, les enfants répètent. Deux fois suffisent à ce qu’ils entament la bonne mélodie, je suis épatée par la méthode. La musicienne a aussi préparé des partitions graphiques pour ceux qui souhaiteraient s’entraîner à la maison. A ce moment précis, assise entre Noura et Melvin, je sens les violoncelles faire trembler l’air. Il y a très peu de fausses notes ou tout du moins l’ensemble n’est pas dérangeant. Laetitia les félicite. Et j’entends Melvin fanfaronner, plutôt fier de lui.

Celui qu’Aslan appelle « Stravenskri » [Stravinsky] n’y est pas pour rien. C’est le premier compositeur qui n’a pas voulu se laisser brider par les règles. Il a choisi de glisser 10 temps par-ci, 5 par-là. « Nous, on a fait des années d’études, on a du mal à déconstruire quand on a eu affaire à ce ’Stravinsky’ la première fois », raconte Jenny. « Croyez-moi pour vous, c’est plus facile de jouer sa musique ! »

« C’était un révolutionnaire ? » ,lui demande une jeune altiste.
« Hey ! Oui ! En quelque sorte. Il a créé le buzz ! », s’amuse la musicienne.
« C’était Tupac ! » en déduit Aslan, qui fait référence à « 2pac » un rappeur de la côte ouest américaine, fils de parents Black Panthers, qui lui ont effectivement donné le nom d’un révolutionnaire péruvien.

Pendant la discussion, Benjamin s’est endormi sur son alto. De nouveau, Melvin n’écoute que d’une oreille et fait tourner son violoncelle sur son piquet, comme une toupie sur son axe. A chaque pause, il commente, bavarde un peu et oublie de reprendre l’archet à temps pour jouer. Il se rattrape vite et ça passe inaperçu. Jusqu’à ce qu’il joue au mikado avec l’archet de sa voisine, exaspérée. Le professeur lance un « Melvin ! » toutes les 5 minutes. Par moment, le garçon a un temps d’avance sur les autres, puis il s’agite, relâche la concentration et prend du retard.

« Je sais que ça va très bien se passer mais j’aimerais juste que tout le monde soit dans la même énergie », sermonne gentiment Lætitia. « Allez, la dernière note doit être majestueuse ! C’est comme une gifle ! », explique-t-elle, tirant sur son archet et balançant la tête d’un coup sec. « Ah ouais c’est trop stylé comme ça ! » , commente Aslan.

« J’ai mal aux jambes », râle Melvin. Son violoncelle glisse, la cale n’est jamais posée correctement. Il se tortille. Son professeur finit par lui demander des explications. Ce à quoi il répond en jetant son archet au sol. C’en est trop, le professeur lui demande de le suivre dans le couloir. Il revient dix minutes plus tard les yeux humides. En son absence, les élèves ont appris deux nouvelles mesures. Melvin abandonne. Il a posé son violoncelle entre ses jambes et il ne prend plus la peine de reprendre son archet. Discrètement, pendant que Laetitia donne la suite de la partition à la classe, Jenny rejoint le garçon, pour lui chuchoter des notes à l’oreille. Délicatement, il se remet à jouer et renifle entre deux coups d’archets.

Prochain épisode : à Rosny-sous-Bois, où le photographe et scénariste Marco Castilla prend le relais de la résidence de l’auteur Cécile Ladjadi autour du mythe de la Tour de Babel

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