Les résidences artistiques en Seine-Saint-Denis, tout un feuilleton ! (volet n°19)
Les 6e du collège de La Courtille à Saint-Denis sont allés voir l’exposition du photographe Camille Millerand, en compagnie des réalisateurs Carine May et Hakim Zouani.
Chaque jeudi, les journalistes Joséphine Lebard et Bahar Makooi, originaires elles-mêmes de Seine-Saint-Denis, rendent compte d’une résidence artistique dans un collège du département.
EPISODE 19
Matinée stylée
« Eh mais les 6èmeC, vous n’êtes jamais sortis du collège ou quoi ? »
Marine, leur professeur de français, rappelle ses élèves à l’ordre. Est-ce le soleil ou l’imminence du week-end qui transforment les ados en Zébulons ? Toujours est-il que ce matin, devant le CRR d’Aubervilliers (Conservatoire à rayonnement régional), la petite troupe du collège de La Courtille a enclenché le mode « frétillant ». Après la visite du photographe Camille Millerand dans leur classe quelques jours auparavant, ils découvrent sur place son exposition proposée dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris, « Le Monde en trois rues », peinture du quartier Victor Hugo d’Aubervilliers où s’étendent les boutiques de grossistes.
« Prenez votre temps pour regarder les images. Fodé, on touche avec les yeux ! », rappelle Marine.
Oumou résume la situation : « Dans l’ensemble, je vois que des Chinois ! ». Elle court le long du mur sur lequel sont installés les portraits avant de revenir vers moi.
« Y’en a huit, Madame !
- Du coup, tu en déduis quoi ?
- Ben qu’il y a pas d’Arabes ! enchaîne Laetitia.
- En tous les cas, elle, elle vient du bled », affirme Oumou.
Elle me désigne le portrait de Versilia, une acheteuse.
« Tu vois ses mains ? Elle a la grisaille...
- C’est quoi la grisaille ? »
Oumou me regarde, à peine surprise par mon ignorance.
« Ben c’est quand nous, on met pas de crème hydratante sur les mains. Tu vois, ça creuse et ça fait tout gris. La grisaille quoi... »
Sabine, la médiatrice du lieu interroge les élèves : « Pourquoi l’exposition s’appelle « Le monde en trois rues », d’après vous ?
- Pour montrer qu’il n’y a pas que des Chinois...
- Parce que ce sont des gens qui viennent de loin pour faire du commerce. »
La voix de Djibri peine à percer le bruit environnant. Sabine lui demande de répéter. A peine plus fort, il reprend :
« Au début, c’est pas facile pour ceux qui quittent leur pays...
- Tu parles de l’exposition ou de quelque chose de plus personnel ? » demande Sabine.
Djibri désigne d’un coup de menton l’une des phrases glanées par Camille au cours de son travail et reproduite au bas d’une des photos : « Toute ma famille est restée en Chine »
« En tout, j’ai rencontré 160 personnes, raconte Camille. Seules 60 ont bien voulu se laisser photographier. Certains ont simplement été d’accord pour me parler. Ce sont les phrases que vous voyez reproduites ici. »
Et de raconter le dispositif mis en place pour aborder les gens. A bord d’un caddie, il installe un studio photo mobile. Placardée sur le devant de l’engin, une affichette explique en mandarin sa démarche : contre une séance de pose, il offre un tirage. Car le caddie abrite aussi une imprimante numérique et une petite machine à café.
« Le caddie, ça m’a aidé à rentrer en contact avec les gens, explique Camille. Sans lui, on avait tendance à me prendre pour un policier ou un douanier...
- Stylééééé !, admire Nasser.
- Vous voyez le portrait de Monsieur Wu, sur le mur ? Il est resté longtemps à me regarder. Il venait, se posait quelques instants et puis repartait. Un jour, il m’a fait ce geste (Camille effectue un mouvement de balancier avec son bras du haut du corps vers le bas). Ca voulait dire « vas-y, je veux bien que tu me photographies. » Plus tard, j’ai voulu lui donner un tirage de son portrait. Mais je ne l’ai jamais retrouvé... »
Les enfants entourent le caddie, le scrutent sous tous ses angles.
Carine rigole : « Il ne te fait penser à rien, le logo qu’a choisi Camille pour expliquer son projet ? »
Effectivement, la forme du « Flash Express » qui s’expose sur les flancs du caddie me dit quelque chose.
« Ben... On dirait celui de Pékin Express, non ?
- Ah, tu vois Camille ! », le chambre Carine.
Le photographe hausse les épaules : « Pas du tout ! Ca reprend l’emblème de Flash Gordon ! »
Les élèves se sont replongés dans le questionnaire que leur a distribué Sabine. « Si tu pouvais emporter un de ces portraits chez toi, lequel choisirais-tu ? »
Sans surprise, Oumou opte pour celui de Versilia. Diana préfère celui de Numalsink, vendeur de marrons chauds à la sauvette, « parce que j’adore les châtaignes ! ». Nasser, lui, bloque devant l’image d’un homme casqué, assis sur un scooter. « Trop styléééé. On dirait un gangster, le gars ! ». Il en profite pour prendre quelques photos avec son téléphone : « c’est pour montrer à mon père ce que j’ai vu... »
Les 6ème s’égaillent dans le grand espace de l’exposition. Ils grimpent jusqu’à une petite mezzanine où est exposé un autre projet de Camille : à partir de photos prises avec leurs portables, il a reconstitué les portraits d’adolescents façon mosaïque. Fodé tente le coup : « On peut prendre l’ascenseur pour monter ?
- Mais Fodé, il y a quinze marches, s’exclame Carine. On est avec les retraités ou quoi, aujourd’hui ? » Car Fodé a un autre sujet d’inquiétude : la classe sera-t-elle rentrée à temps pour l’heure de la cantine au collège ?
Justement, il est bientôt temps de se séparer.
« Mais, Monsieur, ça veut dire qu’on va jamais vous revoir ?, s’inquiète un des garçons de la classe.
- Je passerai peut-être vous voir pendant le tournage », propose Camille.
Devant le théâtre de la Commune, la classe se regroupe pour la photo. Les filles derrière, sagement collées les unes aux autres. Les garçons au premier rang chahutent, prennent des poses, index et majeur dépliés... quand ils ne les glissent pas derrière la tête de leurs camarades.
« Franchement, les garçons, les oreilles de lapin sur les photos, c’est fini, ça ! C’est trop années 80 ! », râle Carine.
Bady s’attarde un peu auprès de Camille : « Pourquoi vous avez décidé de devenir photographe ?
- Je voulais raconter des histoires, mais je n’étais pas très bon à l’écrit...
- Bady aussi aime les histoires, n’est-ce pas, Bady ? », lance Marine.
Le garçon esquisse un sourire timide.
Prochain épisode : avec les élèves du collège Joséphine-Baker de Saint-Ouen, en compagnie de la metteur en scène Marie Piémontèse et de la documentariste radio Fabienne Laumonier
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