Cinéma Art Saint-Denis Saint-Ouen

Les incroyables aventures des élèves Baudelaire

Pendant 4 ans, le réalisateur Eric Baudelaire est intervenu au collège Dora-Maar de Saint-Ouen/Saint-Denis auprès d’une vingtaine d’élèves. L’œuvre née de cette rencontre vient de recevoir le prestigieux Prix Marcel-Duchamp et est exposée jusqu’au 6 janvier à Beaubourg. Retour sur une sacrée aventure artistique.

Manelle qui nous parle de son grand-père et de tout ce qu’il représente pour elle, David qui nous fait visiter le village d’origine de ses parents en Roumanie, Fatimata la reine de la cuisine… Durant 4 ans - de 2015 à 2019 - ces élèves du collège Dora-Maar ont filmé leur quotidien, sous la houlette d’Eric Baudelaire. A l’issue de son intervention au long cours dans ce nouvel établissement de Seine-Saint-Denis, qui a ouvert ses portes en 2014, ce réalisateur devait laisser une œuvre dans le cadre du « 1 % artistique » (voir encadré).
Le résultat est réussi, mêlant poésie du quotidien et roman d’apprentissage. Une œuvre qui a su séduire le jury de l’Adiaf (Association pour la diffusion internationale de l’art français) qui lui a décerné le 14 octobre le Prix Marcel-Duchamp, l’une des plus prestigieuses récompenses en matière d’art contemporain.
Centré sur cette jeunesse des quartiers populaires qui rêve comme toutes les autres, ce « Film dramatique » rappelle, en plus contemplatif, « Swagger », œuvre du réalisateur Olivier Babinet qui montrait déjà les aspirations de collégien·nes séquano-dionysien·nes.
Mais ne vous fiez pas à son titre… « On l’a intitulé « Film dramatique » parce que c’est un clin d’œil à une séquence où les élèves débattent de la nature du film : est-ce que c’est un documentaire, est-ce que c’est un film de fiction et quel genre de film ? Et aussi parce que c’est un pied de nez au fait que souvent, quand un réalisateur s’intéresse à la banlieue, il se croit obligé d’en faire un film dramatique... », commente, un peu espiègle, Eric Baudelaire.

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Pas de sensationnalisme ou d’effet larmoyant dans cette œuvre chorale, réalisée avec les rushes des collégiens : juste des tranches de vie. « Ce qui m’intéresse dans ce film, c’est qu’on voit les élèves devenir sujets de leur propre vie et aussi auteurs », poursuit Eric Baudelaire, qui dit avoir laissé les 20 réalisateurs en herbe extrêmement libres au moment de leur confier ses caméras. « Je leur avais juste demandé de me ramener des images qui aient un sens pour eux, qui parlent d’eux ». Selon les sensibilités, on voit donc émerger des histoires personnelles ou familiales, des allusions à la double culture dans laquelle certains de ces élèves grandissent ou des prises de parole façon journal intime.
Parfois, la vie du pays tout entier fait irruption dans ces existences d’adolescents comme lors de l’élection présidentielle de 2017 – où chacun est d’ailleurs invité à imaginer un slogan - ou, beaucoup moins léger, lors des attentats terroristes de 2015. « C’est la première fois où la politique extérieure s’est imposée au groupe, et la majorité des élèves ont éprouvé le besoin de réagir face à ça. Souvent pour dénoncer la flambée d’islamophobie ou le repli identitaire qu’ils disaient ressentir après ces épisodes », se souvient Eric Baudelaire.

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Au bout du compte, ce « Film dramatique » nous raconte surtout la construction touchante de jeunes filles et garçons au sein d’un même lieu de vie. La naissance d’un groupe aussi, dont une bonne partie était encore présente lors de la remise du Prix Marcel-Duchamp le 14 octobre dernier au centre Pompidou. Ce qui n’est que l’un des moments de gloire de ces élèves, que le réalisateur s’évertue régulièrement à faire voyager lors des différents festivals qui accueillent le « Film dramatique ». Certains petits chanceux ont ainsi pu se rendre à Locarno, à Lisbonne ou prochainement à Séville. « Je considère que ça fait partie des prolongements de cette aventure qu’on a vécue ensemble. », commente Eric Baudelaire. Et si au final, il s’agissait d’un « film fantastique », comme le dit David, l’un des collégiens apparaissant dans le film ?

N.B : Le « Film dramatique » d’Eric Baudelaire et des collégiens de Dora-Maar est visible au centre Beaubourg jusqu’au 6 janvier 2020, en même temps que le travail des 3 autres artistes qui étaient nommés pour le Prix Marcel-Duchamp. Une projection publique, en compagnie des élèves et leurs parents, aura par ailleurs lieu dans un cinéma du département en janvier prochain.

Christophe Lehousse

Le 1 % artistique, kezako ?

Un mur tactile et bariolé au collège Jean-Moulin d’Aubervilliers, des portraits d’élèves au collège Corot du Raincy, et même une Maison des plantes à Cesaria-Evora, Montreuil…. Appliqué pour tous les nouveaux collèges depuis 2010, le dispositif départemental du « 1 % artistique » vise à consacrer une partie des coûts de construction (aux alentours de 1%) à l’élaboration d’une œuvre d’art au sein des nouveaux établissements. L’objectif recherché : sensibiliser les élèves à la création, mais aussi sortir l’art des musées pour le faire dialoguer avec le monde réel. Les 25 collèges construits depuis 2012 et d’ici 2020 ont ainsi tous fait une place à l’art dans un de leurs espaces, et ce souvent sous des formes très diversifiées : arts plastiques la plupart du temps, mais aussi photographie ou vidéo comme dans le cas d’Eric Baudelaire et de son « Film fantastique ». Et en avril prochain, c’est à une performance qu’aura droit le nouveau collège Gisèle-Halimi d’Aubervilliers avec la venue du plasticien Abraham Poincheval, connu entre autres pour être resté une semaine entière à l’intérieur d’un rocher géant au Palais de Tokyo ou pour avoir traversé la Bretagne avec une armure de 30 kilos...

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