Patrimoine Bobigny

Les Romains de Bobigny n’étaient pas fous

En novembre dernier, le service départemental d’archéologie lançait un nouveau chantier de fouilles sur deux des stades du parc interdépartemental de La Motte, où l’on a déjà retrouvé des traces d’occupation gauloise, et surtout, romaine.

En ce lundi de janvier, le grand soleil n’arrive pas à réchauffer l’air glacial qui souffle sur le Parc interdépartemental de la Motte, à Bobigny. Alexandre Michel, l’archéologue qui nous accueille et qui dirige la fouille, tient avant tout à nous en expliquer le contexte en tournant sur lui-même : « A l’est, là bas, c’est la cité de l’Étoile. A l’ouest, la cité du Pont de Pierre et l’annexe de l’université de Villetanneuse. Juste au nord, c’est l’hôpital Avicenne ». Et au milieu ? Au milieu, c’est l’équivalent de deux stades de foot gadouilleux.
Le Conseil départemental a le projet de construire un pôle « Sport et Handicap » le long de l’hôpital Avicennes, sur le terrain du parc de la Motte. Le service départemental de l’archéologie a donc d’abord procédé à un diagnostic : en creusant des tranchées à la pelle mécanique, le contenu de la terre était riche d’indices montrant une occupation romaine. Il faut dire aussi que le terrain se trouve à proximité de la nécropole gauloise découverte au début des années 2000 sur le terrain de l’hôpital Avicenne. Une fouille a donc été organisée sur ces 14 000 mètres carrés de terrain.

Protohistoire

La première étape, c’est le décapage. A la pelle mécanique, on enlève les 40 centimètres de boue noire sur l’ensemble de la surface, pour arriver au « sol naturel », d’une couleur ocre jaune. « En dessous, on est sûr que cela date d’avant le xxe siècle. Là, on tombe directement sur une occupation romaine ! », se réjouit Alexandre Michel. Sur la surface jaune, apparaissent des taches rougeâtres, maronnasses... «  A l’époque, les habitants avaient creusé des trous dans le sol. Au fil du temps, ces trous ont été comblés, et c’est en fouillant ce dépôt que l’on va arriver à expliquer ce qu’il s’est passé il y a des siècles », poursuit le passionné de proto-histoire. Du coup, sur le terrain, chaque tache est entourée de petits bouts de plastique rouge pour éviter que la pluie ne l’efface. Et, sur un petit coin du terrain, on aperçoit des bonshommes en combinaison blanche.

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Fabien travaille pour le Conseil départemental en tant que technicien de fouille. Il a tendu un mètre bien droit au-dessus de sa « tache », et en a creusé la moitié avec sa truelle. Maintenant, il est absorbé dans le dessin de son œuvre, « en plan », c’est-à-dire vu du ciel, et « en coupe ».

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L’archéologie est d’abord un travail d’archives. Pour trouver les vestiges du temps passé, l’archéologue doit détruire le sol, son objet d’étude, empêchant ainsi de renouveler cette opération. Chaque étape doit donc soigneusement être photographiée, dessinée, numérotée, classée.

Couches

Le dessin « en coupe » permet de décrire la manière dont le creusement s’est comblé, chaque couche représente un moment différent. Les vestiges que l’on trouve dans chacune de ces couches vont permettre de connaître l’époque à laquelle elle s’est déposée. « Si quelqu’un fouillait la terre d’aujourd’hui dans mille ans, il pourrait savoir à quelle période exacte une cannette de coca a été produite grâce à sa simple forme. Pour les Romains, c’est la même chose ! A partir de ce que l’on trouve, on peut savoir ce qu’on faisait à cet endroit, ce qu’on y mangeait, comment on y travaillait... », poursuit le capitaine de l’opération.

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Alexandre, Fabien, Elise, Amandine, aidés de Charles, un maraîcher auvergnat venu fouiller bénévolement, n’ont mis au jour qu’un huitième du terrain. Pour l’instant, leur butin se compose de fragments d’amphores et de tuiles, du torchis, qui leur indiquent comment étaient construits les murs des maisons. Du fer, du métal, des bouts de serrure des coffres en bois de l’époque. De la céramique. De la monnaie, qui permet d’avoir une idée de l’organisation économique de l’époque. Des épingles, des aiguilles, des poinçons en os animal. Et même une spatule en métal pour se curer les oreilles !

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Sans oublier les dents d’animaux, qui indiquent ce que mangeaient les Balbyniens de l’époque. Le saviez-vous ? Les Gaulois adoraient le chien, rôti de préférence, et ils en mangeaient bien plus fréquemment que du sanglier. « Pour l’instant, ce qu’on a trouvé nous permet de faire l’hypothèse que ce lieu servait notamment à l’extraction du sable des carrières. Vu la qualité des objets qu’on a trouvés – pots à paroi fine, ustensile de toilette en bronze – on peut dire que nos populations romaines de Bobigny n’étaient pas des ploucs. A sept kilomètres de Paris, il devait y avoir de très nombreux échanges », poursuit Alexandre.

Brosse à dent

Une fois les «  taches  » décrites, puis vidées de leurs trésors, on envoie, par camions entiers, les objets trouvés dans la terre au bureau du service, à Épinay-sur-Seine. Là, ils sont lavés à la brosse à dents, reconstitués pour ceux qui sont en plusieurs parties. Les céramiques sont envoyées au céramologue qui peut, à partir d’un simple éclat, reconstituer la forme de l’objet auquel elle se rattachait, en déduire son usage, la manière de le fabriquer etc. Les pièces de monnaies sont envoyées au numismate, qui la compare à sa collection, l’analyse, pour savoir à quel système elle se rattachait, et en déduire la date. D’autres objets sont envoyés aux restaurateurs d’objets, pour qu’ils puissent être exposés, et conservés comme trace du passé.
À la fin de chaque fouille, les archéologues publient une monographie rassemblant tous les éléments qu’ils ont découverts, leurs archives, leurs dessins, leurs photos et leur conclusion. Pour cela, il faudra attendre encore un petit peu : il se pourrait que la fouille du terrain de La Motte à Bobigny se poursuive au-delà de mars 2018 !

Si vous êtes tenté par une expérience sur le terrain, participez cet été à notre jeu "De Visu" !

Observez en temps réel l’évolution des fouilles du stade de La Motte ici !
Lisez l’interview de Claude Héron, chef du service départemental d’archéologie.
Lisez l’interview d’Olivier Meyer, conseiller scientifique au patrimoine.

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