Le Créa vu par ses deux anges gardiens
Ce centre de création vocale et scénique, unique en son genre, basé à Aulnay-sous-Bois vient de fêter ses 30 ans en présence de deux personnalités prestigieuses : les chanteuses Natalie Dessay et Juliette. Retour sur l’aventure du Créa avec ces deux figures de la chanson française.
La porte s’ouvre et surprise, voilà Juliette et son piano droit. L’artiste à la gouaille parisienne et aux chansons truculentes tenait à faire une apparition dans « 30e étage », le spectacle joué cette année par les élèves du Créa pour les 30 ans de la structure aulnaysienne.
C’est qu’entre Juliette et le Créa, le courant passe depuis maintenant quelques années. Depuis 2014 très précisément, quand l’artiste, sollicitée par le Créa, leur avait concocté un opéra, « Les Indiens sont à l’Ouest ». La pièce, jouée pendant 4 jours au Châtelet, a par la suite connu une belle vie puisqu’elle a été reprise par plusieurs chorales françaises, notamment dans les quartiers populaires.
« La première fois que j’ai entendu parler du Créa, c’était en 2004 pour la création de leur comédie musicale « Mister Cauchemar ». Il se trouve que c’est mon pianiste, Didier Goret, qui leur avait composée. Et quand j’ai vu leur travail, j’ai été bluffée. Du coup, quand le Créa est venu me chercher à mon tour, je n’ai pas hésité une seule seconde », raconte Juliette.
Structure unique en son genre en France, ni chorale ni conservatoire, le Créa a pris pour habitude de commander des œuvres à des artistes pour qu’elles soient ensuite interprétées par ses quelque 130 chanteurs en herbe. En 3 décennies, cet Ovni culturel a ainsi produit 70 spectacles dont de nombreux extraits se retrouvaient justement cités dans « 30e étage ».
Dimanche soir, date de la dernière du cru 2017 du Créa, c’était un concert d’éloges pour la structure trentenaire. Puisqu’une autre figure tutélaire était aussi dans les murs : Natalie Dessay. Douée d’une ubiquité mystérieuse, l’ancienne soprano réussissait même le tour de force d’être à la fois présente sur scène – sous la forme d’un hologramme – et dans la salle. Marraine du Créa depuis une dizaine d’années, la cantatrice se disait subjuguée par ce qu’elle avait vu et entendu. « Le travail qui est fait avec les gamins, c’est fantastique. Quand on sait à quel point c’est difficile de coordonner comme ça tout un ensemble, je dis bravo », complimentait Natalie Dessay.
L’artiste lyrique, qui a tant interprété le rôle d’Olympia au cours de sa carrière de soprano, aura apprécié le clin d’oeil du Créa de glisser un air de cet opéra d’Offenbach dans le spectacle des 30 ans. Mais celle qui a désormais évolué vers le jazz, notamment avec Michel Legrand, avouait aussi un faible pour les pépites de swing disséminées dans la représentation. « C’est épatant parce qu’ils savent tout faire ; chanter, jouer, danser… Et ça ça me parle, moi qui ai toujours pensé que le jeu était à la base de tout. »
Le secret du Créa ? Pour Natalie Dessay, il tenait en une formule, presque magique : Didier Grojsman et son équipe. « C’est un homme qui a la passion de la pédagogie et qui sait transmettre le goût de l’effort ». A 60 ans, cet amoureux de la chanson et de la comédie musicale a fait de l’éducation populaire le combat de sa vie. Et il fallait le voir sur scène dans 30e étage jouer le rôle d’un juge façon De Funès pour comprendre tout le plaisir qu’il y prend.
Juliette, qui a elle vécu une aventure d’un an avec le Créa, renchérissait : « Certains ont un talent d’auteur, lui il a un énorme talent de pédagogue. Je vous jure, je l’ai vu à l’oeuvre, il ferait chanter des chaises. Et puis, il a aussi su responsabiliser ses élèves. Avec le système de parrainage qu’il a mis en place, c’est le groupe lui-même qui prend en charge les nouveaux venus. C’est aussi ça qui fait du Créa une réussite éducative. »
3500 enfants passés dans ses rangs en 30 ans, et des élèves qui trouvent au Créa une écoute attentive, un cadre structurant, un beau reflet d’eux-mêmes. « Effectivement, tous ne feront pas carrière dans la chanson, même s’il y en a toujours quelques-uns pour qui c’est une révélation, souligne Natalie Dessay. Mais le Créa, c’est avant tout une formation de citoyens. Certains élèves peuvent avoir des difficultés à l’école, et là, ça s’éclaire : ils connaissent ici un regain de confiance. »
Rétive aux « grands concepts philosophico-métaphysiques », Juliette estimait de son côté que le Créa, avant d’être un outil de vivre-ensemble, était surtout « une structure d’une qualité artistique exceptionnelle ». Avant de convenir que cette école avait fait beaucoup pour chasser les préjugés toujours défavorables sur la Seine-Saint-Denis.
« Moi quand j’entends Aulnay-sous-Bois, je pense d’abord au Créa et pas aux faits divers relayés par le 20h. Tout ce qui peut battre en brèche les images toutes faites, ça m’intéresse ! », expliquait celle qui repassera d’ailleurs par la Seine-Saint-Denis fin janvier, à Stains, pour y présenter son nouvel album « J’aime pas la chanson ».
Et l’histoire de Juliette avec la Seine-Saint-Denis pourrait ne pas s’arrêter là puisque l’auteure-compositrice pourrait se réembarquer pour une seconde odyssée à bord du Créa. « Rien n’est acté, mais quand je vois des spectacles comme ça, forcément ça donne envie ! »
Christophe Lehousse
Photos : Patricia Lecomte
– Le nouvel album de Juliette, « J’aime pas la chanson » sortira en janvier. L’artiste partira ensuite en tournée à travers toute la France. A Stains le 31 janvier à l’Espace Paul-Eluard.
– Natalie Dessay a de son côté signé un nouvel album avec le compositeur de jazz Michel Legrand : « Between yesterday and tomorrow », parcours musical dans la vie d’une femme, de sa naissance à sa mort. Elle jouera aussi à partir de novembre dans « La légende d’une vie », pièce adaptée d’un roman de Stefan Zweig.
Alors que flotte encore dans l’air la fumée de ses 30 bougies, le Créa ne prend pas le temps de souffler. Les quelque 130 élèves de la structure – en attendant les recrues 2018 - rempilent déjà sur la création de l’année prochaine, une comédie musicale sur le thème de Sherlock Holmes. Intitulée « Elémentaire mon cher ! » et composée par Thierry Boulanger, elle mènera les spectateurs d’Aulnay dans les ruelles sombres du Grand Londres, in english s’il vous plaît.
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