Dessin de presse Bobigny

La Seine-Saint-Denis est à fond les crayons

Jeudi 31 mai, le dessinateur Plantu et trois caricaturistes étrangers, membres de l’association Cartooning for Peace, ont donné une conférence sur le thème du dessin de presse à quelque 300 élèves du département. L’aboutissement d’un parcours d’éducation qui les a vus réfléchir à la liberté d’expression, à la laïcité et à la tolérance. Reportage.

Sur la scène de la MC 93, le trait de l’élève ne tremble pas : le front, les yeux, le menton et surtout la bouche barrée d’un gros sparadrap. « Voilà un beau dessin sur quelqu’un qu’on empêche de s’exprimer », complimente Plantu. D’emblée, on est dans le ton de la conférence « Libérons les crayons » donnée par le dessinateur du Monde et son association Cartooning for Peace à des élèves de 10 collèges de Seine-Saint-Denis sur le thème de la liberté d’expression, de la tolérance et du vivre-ensemble.

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Organisé pour la 4e fois de suite, ce parcours d’éducation au dessin de presse, mis en place à la suite des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, est le fruit d’un partenariat entre le département de la Seine-Saint-Denis et Cartooning for Peace. Mobilisant chaque année plusieurs dessinateurs de l’association qui se rendent dans les classes, il consiste notamment à donner des clés d’interprétation à des élèves parfois peu habitués à la caricature ou au dessin de presse.
Après un travail en début de semaine aux côtés de Cécile Bertrand, dessinatrice belge, du Marocain Khalid Gueddar et de Willy Zekid, caricaturiste congolais, les quelque 300 élèves concernés retrouvent donc sur scène pour une conférence finale. L’occasion pour eux de venir s’essayer au dessin sur scène. Après tout, on n’a pas tous les jours la chance de dessiner aux côtés de Plantu.

Lignes rouges

Mais il y a aussi des questions, pour la plupart pertinentes. « Vos familles approuvent-elles vos métiers ? » « (A Plantu) Pourquoi y a-t-il des souris dans vos dessins ? » « Avez-vous eu des ennuis suite à certains de vos dessins ? » A cette question, Willy Zekid et Khalid Gueddar ne peuvent malheureusement que répondre favorablement. Le premier a dû quitter son pays – le Congo-Brazzaville – menacé de mort pour avoir caricaturé un ex-président de son pays. Le second a encouru jusqu’à trois ans de prison pour avoir dessiné un membre de la famille royale marocaine dans le journal satirique « Bakchich », une peine finalement commuée en sursis grâce au soutien de l’association Cartooning for Peace.
« Je viens d’un pays où il y a des lignes rouges à ne pas franchir, parmi lesquelles la religion et la famille royale, explique ainsi le dessinateur marocain, d’autant plus ravi de participer à ce parcours qu’il a fait ses études d’arts plastiques à Paris-8 Saint-Denis. J’ai été inquiété parce que j’avais dessiné un membre de la famille royale. Mais l’histoire nous apprend que la liberté, on ne nous la donne jamais, elle se gagne. Donc j’estime que nous les dessinateurs, on a un engagement auprès de vous pour défendre cette liberté d’expression. »
Est-ce pour autant qu’on a le droit de tout dire ? Willy Zekid, dessinateur congolais réfugié en Côte d’Ivoire puis en France, rebondit : « Bien sûr qu’il faut se battre pour la liberté d’expression. Mais j’estime que ce n’est pas parce qu’on a le droit de tout dire qu’on peut se permettre de tout dire. C’est pourquoi ma liberté d’expérience va avec le respect et la tolérance. » Murmure d’approbation dans la salle.

Après une nouvelle salve de croquis d’élèves – Ben réalise un beau panneau de basket, Jade un dessin assez mystérieux d’une fille songeant à un interdit - autre question pertinente : « Y a-t-il des dessins que vous regrettez ? » veut savoir Fahami. Oui, pour Cécile Bertrand. La dessinatrice belge dit regretter aujourd’hui un dessin fait en 2006, montrant le Prophète Mahomet entarté à la manière du célèbre entarteur Noël Godin. « Sur le moment, j’ai cru à une bonne idée, mais après coup, je réalise que ça a pu blesser des gens », reconnaît la collaboratrice des journaux « Le Vif » ou « La Libre Belgique ». Willy Zekid et Khalid Gueddar, en revanche, persistent et signent. « Je dirais plutôt que je regrette de ne pas avoir fait certains dessins », affirme Khalid, qui n’a pas son crayon dans sa poche. En témoigne un dessin montrant une femme répondant « 1=1 » à une armée de religieux lui soutenant que « 1=2 ». « Ce dessin, je l’ai fait pour soutenir une femme qui a osé remettre en cause la loi sur l’héritage. Il faut savoir qu’au Maroc, une femme touche deux fois moins qu’un homme sur un héritage, et jusqu’à récemment, tout le monde considérait ça normal. Jusqu’à que cette femme trouve le courage de s’y opposer. »

Dissiper les malentendus

A l’issue de la conférence, tout le monde ressort avec le sourire. Les dessinateurs, Plantu en tête : « C’est toujours aussi positif. Les élèves apprennent à travers ces actions à décrypter un dessin de presse, à argumenter. Et nous, ça nous enrichit aussi. Après ça, on comprend encore mieux les malentendus, les tensions qu’il peut y avoir. Notamment par rapport aux médias : il y a un gros travail de dialogue à faire, partout en France. »
Et les élèves ? Certains discutent avec passion, d’autres sont songeurs. « Ce que je retiens, ce sont les risques que prennent ces dessinateurs pour faire leur métier. », témoigne Haran, du collège Pablo-Neruda de Pierrefitte. Admirative du « courage » qu’il a fallu à Khalid Gueddar pour oser dessiner un prince de la famille royale, la jeune fille se ferme en revanche quand il est question de représenter Mahomet. « Pour moi, dessiner le Prophète, c’est déjà un manque de respect. »
Pour Fahami en revanche, la liberté d’expression doit primer avant tout, mais sous certaines conditions. « Selon moi, il y a des manières de faire. Sur certains sujets sensibles : les religions, les identités, on doit faire attention de ne pas blesser les gens. Après oui, je suis d’accord pour qu’on puisse critiquer les religions à travers un dessin, mais il faut le faire avec respect. »
Pas question de trancher un tel débat à la va-vite. L’essentiel, toutefois, est là : les élèves argumentent et s’écoutent sur des sujets que chacun gardait auparavant pour soi. C’est fluide et direct, comme un dessin de Plantu.

Christophe Lehousse
Photos : @Bruno Lévy

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« Libérons les crayons », une action éducative parmi d’autres

« Après les attentats contre Charlie, en janvier 2015, nous avions lancé un projet intitulé « Nous sommes la République » pour mobiliser nos élèves et enseignants autour des valeurs liberté, égalité fraternité et travailler sur le respect des différentes croyances et cultures, sur le vivre-ensemble. Le partenariat avec Cartooning for Peace donne notamment corps à cette idée. » Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental, était hier lui aussi sur la scène de la MC93 pour y accueillir Plantu et son équipe, pour la 4e année consécutive.
Construit chaque année avec des dessinateurs se déplaçant dans une dizaine de collèges de Seine Saint-Denis, ce dispositif doit notamment donner certaines clés de lecture d’une dessin de presse aux élèves, les amener à réfléchir sur ce qu’est un symbole, un cliché…
Soucieux d’élargir au maximum la palette des parcours en rapport avec l’éducation des médias - un enjeu considérable « à l’heure d’internet, des réseaux sociaux et des fake news » selon Stéphane Troussel - le Conseil départemental a aussi proposé cette année quatre résidences en collèges à des journalistes. Le collège Fabien de Saint-Denis accueille ainsi un projet mené par la productrice Claire Doutriaux, à l’origine de l’émission Karambolage sur ARTE. Le collège Romain-Rolland de Tremblay-en-France reçoit la journaliste de France Culture Sonia Kronlund, tandis que les 4e de à Montfermeil vont rendre eux une enquête sur le recrutement des joueurs de foot en Seine-Saint-Denis menée avec le journaliste Ronan Boscher. Enfin, le collège Travail-Langevin de Bagnolet a ouvert ses portes au photoreporter Adrien Selbert de l’agence VU. Toutes ces résidences déboucheront en fin d’année scolaire sur la restitution d’un travail réalisé par les élèves.

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