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Fatoumata Kebe veut décrocher la lune

Astronome, la Noiséenne Fatoumata Kebe est déjà partie à la conquête des étoiles qu’elle explore du bout de son télescope. Son prochain objectif ? La conquête de la lune, un astre qui la passionne depuis l’enfance et qu’elle raconte dans des « Lettres à la lune », recueil de textes inspirés et inspirants. Entretien.

C’est depuis Noisy-le-Sec et la fenêtre de la cuisine de l’appartement familial que Fatoumata Kebe a nourri sa vocation d’astronome, la tête et le regard perdus dans les étoiles. Parvenue à l’âge adulte, la jeune femme n’a pas délaissé son rêve puisqu’elle est aujourd’hui docteur en astronomie et ambitionne désormais d’embarquer un jour ou l’autre en direction de l’astre déjà « conquis » par Tintin et le capitaine Haddock. Une envie d’aller très loin qu’elle raconte à Seine-Saint-Denis Le Magazine.

Si on vous demande de commencer cette interview par un court exercice de présentation personnelle, vous me répondez quoi ?
Fatoumata Kebe : Je dirai tout simplement que je suis Fatoumata Kebe, astronome. Et puis, j’ajouterai que mon sujet de recherche, ce qui m’anime au quotidien, ce sont les débris spatiaux, les déchets qui tournent autour de la terre, conséquence de l’activité humaine là-haut. Ce qui signifie que je travaille aussi sur les nébuleuses planétaires, c’est-à-dire les étoiles de masse moyenne qui, à la fin de leur vie, vont former une nébuleuse planétaire. Mais, pour revenir à mon travail sur les débris spatiaux au sein de l’Observatoire de Paris et maintenant en partie au Japon, il consiste à comprendre le comportement des débris spatiaux conséquence, par exemple, d’une collision entre deux satellites.

Une trentenaire docteure en astronomie venue de Seine-Saint-Denis qui devient astronome, ça vous a vite conféré l’étoffe d’un exemple à suivre dans les médias lors de la sortie de votre premier livre en 2019. Un costume que vous ne voulez pas forcément enfiler ?
C’est vrai... Moi, je ne fais pas tout ce que je fais et construit actuellement pour devenir un modèle, mais simplement pour réaliser ma vocation... En fait, tout ce que je fais me paraît normal et je ne veux surtout pas qu’on m’utilise ! Pour moi, venir de Seine-Saint-Denis n’a rien de particulier : j’ai habité à Noisy-le-Sec, j’ai grandi à Noisy-le-Sec et voilà ! C’est comme lorsqu’on a stigmatisé la Seine-Saint-Denis au moment où les cas de COVID-19 montaient pendant le confinement... Mais les gens n’y pouvaient rien, ce n’est pas parce qu’ils se comportaient mal que les contaminations augmentaient mais simplement parce que les métiers de première nécessité -caissiers, infirmiers, livreurs... - étaient exercés par des gens habitant en Seine-Saint-Denis. Donc, soyons clair : eux prenaient des risques pendant que certains restaient enfermés dans leurs maisons de campagne.

Venons en maintenant à votre actualité du moment : pourquoi ce deuxième opus « Lettres à la lune » (1) sous la forme cette fois d’un recueil de textes littéraires sur cet astre qui vous obsède tant...
Fatoumata Kebe. Parce qu’après un premier livre « La Lune est un roman » sur un registre assez scientifique, je voulais publier quelque chose de beaucoup plus littéraire pour que les gens en apprennent un peu plus sur la lune, la façon dont elle apparait et réapparaît régulièrement dans la littérature francophone ou étrangère. Pour ça, j’ai dû faire une sélection assez compliquée, parce que j’aurais aimé publier la plupart des extraits d’auteurs davantage en longueur. Mais, il aurait fallu des pages et des pages ! En tout cas, pour bâtir ce livre, j’ai écumé pas mal de bibliothèques pour composer une sélection de textes qui va de Shakespeare à Kerouac en passant par Proust ou Federico Garcia Lorca.

Si on se replonge dans votre histoire personnelle, c’est aussi un livre qui a suscité votre vocation d’astronome ?
Fatoumata Kebe. Oui, c’est exact, c’est à la lecture d’une encyclopédie ramenée par mon père à la maison, chez nous à Noisy-le-Sec, que tout a commencé. Je devais avoir huit ans... Ce que j’ai lu et vu sur la lune dans ce gros livre m’a fasciné.

Et un quart de siècle plus tard, vous ambitionnez d’être astronaute et de marcher un jour sur la lune. Je me trompe si je vous dis que c’est comme une sorte d’idée fixe qui ne vous quitte plus ?
Fatoumata Kebe. C’est une idée fixe, oui... Mais, elle prend en compte la réalité et la difficulté des choses. Après, franchement, quand j’ai vu que des astronautes revenaient sur terre pendant le confinement du printemps, je me suis dit qu’à leur place je serai restée là-haut ! Oui, je serai bien mieux là-haut vu « l’atmosphère » actuelle sur notre planète. Mais, ça ne se fait pas en claquant des doigts...

Justement, vous en êtes où dans votre quête d’un embarquement pour un voyage lunaire ?
Fatoumata Kebe. En fait, il faut candidater auprès de l’Agence Spatiale Européenne, mais on ne sait pas à l’heure actuelle quand l’Agence rouvrira la porte pour de nouvelles candidatures. Donc, en attendant, je ne peux faire en sorte que de me préparer en travaillant, par exemple, ma condition physique. Mais, je le redis, je suis toujours candidate pour devenir astronaute. Après, il faut bien voir que le dernier astronaute français Thomas Pesquet a été recruté parmi plus de 8 000 candidats, donc je ne suis pas vraiment toute seule à avoir la même envie, le même rêve.

Qu’est-ce qui fera que Fatoumata Kebe, jeune femme qui a grandi à Noisy-le-Sec, sera recrutée parmi 8 000 candidats pour aller vers la lune ?
Fatoumata Kebe. Il faudrait demander à ceux qui recrutent, mais c’est très aléatoire... En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’il faut se situer entre 27 et 37 ans, avoir un profil scientifique d’ingénieur, pilote ou chercheur, avoir une bonne condition physique et ensuite le reste ne m’appartient pas... Mais, je respecte tous ces critères ! En même temps, il n’y a pas de règle absolue : si on prend l’exemple de la NASA qui ne recrute que des Américains, ils ont quand même choisi des gens qui avaient la quarantaine passée, donc tout est aussi possible. En attendant, je prépare ma candidature en m’informant au maximum : je participe, par exemple, à des webinaires animés par des ex-astronautes qui se prêtent au jeu des questions et racontent leurs expériences.

Et si ce rêve d’aller sur la lune n’aboutissait pas...
Fatoumata Kebe. (Elle coupe) Non, ce n’est pas comme ça que je raisonne ! Je ne me mets pas d’entrée en mode échec, je me prépare toujours un plan B. Et, je le dis pour moi, mais aussi pour les jeunes de Seine-Saint-Denis ou d’ailleurs qui vont peut-être lire ces lignes. Il faut toujours avoir un plan B ou C.

C’est déjà votre cas, non, vous multipliez les activités ?
Fatoumata Kebe. Oui, je suis assez active... Avec mon association Ephémérides qui existe depuis six ans et qui me permet de faire des interventions avec des jeunes de Seine-Saint-Denis et d’ailleurs pour leur apprendre à lire une carte du ciel étoilé, regarder dans un télescope, leur expliquer qu’ils peuvent, eux aussi, réaliser et mener à bien des projets, des études qui semblent compliquées. Bref, je leur ouvre des opportunités, ce que j’aurais aimé avoir quand j’étais enfant. Et, à côté de ça, je continue également à développer ma start’up Connected Eco qui fabrique des systèmes d’irrigation connectée. Elle est basée à Bondy et son activité est située dans la région de Bamako au Mali, le pays de mes parents. L’objectif, c’est d’arriver à une forme d’autosuffisance alimentaire dans cette région d’Afrique.

Une dernière question « facile » pour finir : quand vous serez sur la lune, vous direz quoi ?
Fatoumata Kebe. Je ne sais pas, parce que je n’y suis pas encore. Donc, un pas après l’autre !

(1) « Lettres à la lune Fatoumata Kebe » / Slatkine et Cie, 2020. 12,99 euros.

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