Enfance & Famille

« Etre réfugié ce n’est pas un métier »

Il y a un an et demi, cette famille syrienne est arrivée en France pour demander refuge et protection. Sara (18 ans), ne parlait pas un mot de français. Aujourd’hui, elle prépare son bac et souhaite s’engager dans des études de médecine. RENCONTRE.

Dans cette famille-là, on s’aime comme on respire. On se serre les coudes face à l’adversité et on adore chanter à chaque fois que l’occasion se présente. Tout pour être heureux, en quelque sorte ? Pas tout à fait. S’ils respirent mieux depuis quelques mois, leur vie n’a pas été un long fleuve tranquille, surtout pour Sara, jolie jeune fille de 18 ans. Les yeux habillés d’un mince trait de mascara, un filet de rouge sur les lèvres, elle ressemble à toutes les jeunes filles de son âge, sans histoire, avec un seul objectif pour la fin de l’année, passer son bac et si possible décrocher une mention.

« En arrivant ici deux défis m’attendaient, dit-elle d’une voix douce, la langue que je ne connaissais pas et le bac qu’il fallait réussir. » Exilée un temps à Amman, en Jordanie, cette famille syrienne arrive en France, il y a un an et demi. Sara ne parle pas alors le français. Aujourd’hui, en terminale S au lycée international Honoré-de-Balzac, à Paris, elle ambitionne des études de médecine.

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« Impossible » et « difficile » sont deux mots qui n’ont pas droit de cité dans cette famille… C’est tout juste si Hussam, le père, ne les a pas rayés du dictionnaire. Professeur de français en Syrie pendant près de 25 ans, il a insufflé à sa fille toute son énergie, accordé tout son temps et transmis son savoir pour que sa fille réussisse. Mission accomplie avec, lors de l’épreuve orale du bac en français, un 20/20.

Un papa-enseignant de tous les instants

Professeur de français pendant 25 ans en Syrie, armé de son diplôme en littérature française, Hussam Darkashali (56 ans) a l’impression de revivre avec sa fille, ce qu’il a vécu avec son propre père. « Quand j’étais tout petit, raconte-t-il, mon père a quitté la Syrie pour l’Algérie afin d’y enseigner l’arabe. Et moi, on m’a mis dans une école française du CP à la troisième. Alors forcément j’ai oublié l’arabe ! De retour en Syrie – mon père décédé –, je me suis retrouvé comme Sara à notre arrivée en France. Je ne savais ni lire ni écrire l’arabe. Et c’est ma mère qui me l’a appris. »

Aujourd’hui, Hussam est, avec sa carte de réfugié de l’OFPRA, professeur d’UPEAA (Unité pédagogique d’élèves allophones arrivants). « J’ai devant moi des élèves nouvellement arrivés en France. J’écoute avec beaucoup d’attention chacun d’eux me raconter son histoire. La jeunesse possède en elle une énergie énorme. Mais pour la faire émerger, il faut aller la chercher. » Et c’est ce qu’a fait tout naturellement ce père aimant avec sa fille Sara.
Dès leur arrivée en banlieue parisienne, il entame son parcours de combattant pour que sa famille soit hébergée dans un centre, « heureusement pas trop longtemps ».

À Bondy, ils séjournent six mois dans un logement, pris en charge par la CAFDA (Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile). « Il fallait qu’on obtienne des papiers, nous ne savions pas si nous obtiendrions le statut de réfugiés… » France Terre d’asile prend le relais et s’occupe d’eux désormais dans leur nouveau logement, à Noisy-le-Sec, qu’ils partagent avec deux réfugiés afghans.

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Ressembler aux autres

Parallèlement à cette bataille, Hussam se lance à cœur perdu pour aider sa fille à ne pas perdre pied. Découragée, elle souhaite tout abandonner. Etudier la physique, la chimie, les SVT, les maths en français, est vraiment au-dessus de ses forces. Alors le père jette tout ce qui lui reste d’énergie dans le combat et dispense des cours intensifs à sa fille. Matin, midi et soir, les week-ends, pendant les vacances scolaires… Pas un moment de répit ! Sur la table familiale qui sert de bureau à Sara, mais aussi à partager les repas, on découvre en vrac des dictionnaires, en particulier un Larousse français-arabe, ses cours impeccablement rangés dans des classeurs. Racine et Baudelaire n’ont plus de secret pour elle. « Pour l’aider, raconte son père, je fais des recherches, je lui achète des bouquins. Pour ma fille, j’ai tout étudié ! Elle est grande, mais pour moi elle est petite…

Tous les copains de Sara connaissent son histoire, mais elle souhaite oublier le passé si lourd à porter. « C’est fatigant d’être dans ce sentiment, de se rappeler qu’on a quitté son pays, ses amis, oui c’est fatigant », avoue-t-elle. Elle a tout simplement envie de ressembler aux jeunes filles de son âge et de partager leurs préoccupations. « Le plus important pour moi, ce sont mes études. Les sentiments, les émotions, on les oublie. » Et pour montrer le lien fort qui les unit, Hussam s’empare de sa guitare, jamais très loin de lui, et avec Sara, entame une chanson de Joe Dassin qu’ils connaissent par cœur.

Chanson de Sara et son père à écouter ici : MP3 - 2.4 Mio

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