Archéologie Tremblay-en-France

Elles font parler les squelettes de Tremblay

En décembre, une immense nécropole du Haut Moyen Âge à Tremblay-en-France a été mise au jour : 1200 sépultures ont été découvertes suite aux fouilles commandées par Paris Terre d’Envol et Grand Paris Aménagement. En ce début 2021, l’archéo-anthropologue de l’agence Eveha Aurélie Mayer et ses collègues Morgane, Mathilde et Élodie inspectent les squelettes, os par os, afin qu’ils livrent leurs secrets.

Mathilde manipule les fragments de crâne, les fait bouger, les change de position, pour voir s’ils peuvent s’emboîter. Un grand défi s’offre à cette archéo-anthropologue aujourd’hui : distinguer les os de neuf corps qui s’entassaient sur le couvercle d’un sarcophage de plâtre, et les disposer de manière à reconstituer le squelette d’origine. Un puzzle géant, en somme. Ses collègues Morgane et Élodie l’encouragent, mi-empathiques, mi-moqueuses. Elles-mêmes s’échinent à reconstituer des colonnes vertébrales, à mesurer des angles de bassins, à ausculter des os coxaux. Elles notent les os qui restent de chaque squelette sur un inventaire graphique, puis établissent des fiches consignant leurs observations. S’agit-il d’un homme ou d’une femme ? De quel âge environ ? Les os examinés ont-ils gardé la trace de traumatismes ?

Paléopathologiste

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En trois mois, dans ce banal immeuble d’entreprises d’Ivry-sur-Seine, elles sont parvenues à passer en revue le contenu de 448 sépultures sur les 1200 découvertes sur le site de la nécropole médiévale de Tremblay-en-France entre août 2019 et décembre 2020. « On est très tôt dans l’étude. Pour l’instant, on peut seulement dire qu’on décompte 18 femmes, 27 hommes, et 12 squelettes indéterminés- le reste des os est trop abîmé pour déterminer le sexe des individus. Et que les squelettes d’enfants sont regroupés dans le sud de la nécropole », explique Morgane. Ce matin de mars, un paléopathologiste, par ailleurs médecin à l’hôpital de Gonesse, a aussi repéré sur les os des traces de tuberculose, et des nécroses de la jambe témoignant de maladie de Legg-Calvé-Perthes.

Restent aux trois archéo-anthropologues les deux tiers d’un travail titanesque à abattre dans les deux ans. Ou peut-être un peu plus. N’en ont-elles pas assez, elles qui ont fait des années d’études, de ce travail d’exécution lent et pointilleux ? « Quand on dérange, on range ! » s’exclame Élodie, pas mécontente, après des mois de fouille en plein air, de goûter l’air conditionné d’un bureau traditionnel. D’autant que ce travail n’est pas exempt de petites joies du quotidien, comme ce radius présentant de fort intéressantes aspérités, et un trou dans la tête de l’os.

Symphonie d’informations

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Les 1200 sépultures de Tremblay ne livreront tous leurs secrets que lorsqu’elles auront toutes été examinées. « On pourra savoir si le périmètre de la nécropole a grandi, diminué, à quel moment, qui a été enterré quand, est-ce qu’ils étaient les premiers, ou pas. Les informations que nous avons recueillies sur les os seront croisées avec celles des spécialistes de la céramique, du petit mobilier métallique, des lithiciens- ceux qui étudient les silex taillés-, des géomorphologues et des topographes. On pourra aussi comparer ce qu’on a trouvé avec les sites voisins tels que celui des Mastraits à Noisy-le-Grand, fouillé par des collègues de l’INRAP », détaille Morgane.

À la baguette de cette symphonie d’informations, Aurélie Mayer. C’est elle qui a dirigé le chantier de fouilles, et l’exploitation, aujourd’hui, de ses résultats. Passée par l’école du Louvre, puis par un M2 d’archéologie à Dijon, elle a ensuite passé des années de CDD à écumer les chantiers aux quatre coins de la France- elle en a une quarantaine à son actif. « Je n’ai lâché mon appartement bourguignon que l’année où je me suis rendu compte que j’avais été en déplacement 11 mois sur 12. Aujourd’hui, je suis moins par monts et par vaux : plus on monte en responsabilité, moins on bouge, car il faut bien rédiger les rapports ! », s’exclame la désormais quadragénaire. Le chantier de Tremblay-en-France est l’un des plus marquants de sa carrière- après celui du carreau du Temple, où elle avait participé à une fouille allant jusqu’à 8 mètres dans le ventre de Paris, mettant au jour des restes de cimetière médiévaux, modernes, des anciennes halles, et même un hôtel particulier.

Surprise

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« Jusqu’au dernier moment, on ne savait pas combien de sépultures on allait découvrir », raconte Aurélie Mayer. L’histoire de la nécropole de Tremblay commence en 2014. Une première entreprise d’archéologie, Archeodunum, avait mis au jour un village du haut Moyen Âge sous ce qui est aujourd’hui devenu un loueur de camion frigorifiques. En 2018, Grand Paris Aménagement et l’EPT « Paris Terre d’Envol » veulent construire un bassin de rétention des eaux usées pour une ZAC en amont du rû du Sausset, le dernier ruisseau non-aménagé de Seine-Saint-Denis. L’Inrap réalise en 2018 une évaluation du potentiel archéologique du site, puis le service régional de l’archéologie décide de prescrire une fouille complète.

C’est l’agence d’archéologie qui emploie Aurélie Mayer, Éveha, qui remporte l’appel d’offre des aménageurs. Les champs de maïs commencent à être ratiboisés à partir de l’été 2019. « On décape d’abord 50 centimètres de terre sur 5,3 hectares, puis faisons le choix de fouiller trois hectares. Mais en creusant, on se rend compte que la fouille de l’Inrap n’avait pu être faite que sur une partie du terrain, et la partie la plus dense de la nécropole se trouvait hors évaluation », raconte Aurélie Mayer. Parfois, ce sont cinq corps qui s’empilent les uns au dessus des autres. « Lorsqu’on a compris cela, un énorme stress nous est tombé sur les épaules. Nous avions seulement 400 sépultures de budgétées. Théoriquement la fouille devait se terminer à Noël 2019 ». La trouvaille des archéologues étant difficilement prévisible, ils bénéficient finalement d’une rallonge pour fouiller le site exceptionnel de manière exhaustive. L’équipe de fouilles d’une quinzaine de personnes devait revenir après la trêve hivernale en mars 2020. Malheureusement, un autre événement de type médiéval les en empêche- le confinement-, et décale leur intervention qui s’étalera finalement de juin à décembre 2020.

Pendeloques en cristal de roche

Aurélie nous repasse ses photos de chantier avec délectation. « Il y en avait partout. On a enterré des gens dans cette nécropole entre le VIe et le XIIe siècle. On observe des différences entre les inhumations de chaque période, en fonction de la taille des fosses, et de la manière dont ils ont déposé le défunt, vêtu ou en linceul », montre-t-elle avant qu’une exclamation ne lui échappe : « Celui-là est vraiment intéressant parce qu’il présente une fracture du fémur qui a probablement entraîné sa mort ». Pourtant, ne croyez pas qu’Aurélie Mayer ne s’intéresse qu’aux squelettes. Dans les fosses, les fouilleurs ont aussi trouvé des lances en fer, des boucles de ceinture, des broches, des petits couteaux, des bagues et des armes. « Mais aussi des fibules en forme d’oiseaux, des pendeloques en cristal de roche ou encore cette grosse bague dont les plaques de grenat paillées sont séparées par des cloisons d’or », s’émerveille l’archéologue. « On ne cherche pas spécifiquement d’objet, on fouille un site dans sa globalité, qu’il soit riche ou non, glorieux ou non, pour le comprendre. Mais on ne va pas se mentir, quand on trouve une grosse bague en or, on est assez contents ». On le sera encore plus lorsqu’on tiendra dans nos mains l’ouvrage qui nous refera vivre, au moins quelques instants, le quotidien de nos ancêtres les Mérovingiens tremblaysiens.

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