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Covid : la culture à tâtons

« La culture est un droit et un bonheur », disait en son temps Jack Ralite, le « monsieur théâtre » du Département. Depuis début mars, le Covid nous a privés de l’un et de l’autre, et il faudra attendre bien au-delà du 11 mai pour que la culture reprenne toutes ses couleurs. Seine-Saint-Denis Magazine vous propose une revue de quelques-un·e·s de ses acteurs et actrices.

L’accordéoniste qui n’aimait pas l’improvisation

Les harmonies brésiliennes de l’accordéon de Karine Huet furent les premières à s’élever des balcons montreuillois. Le piano à bretelles inaugurait le festival « Musique au balcon », lancé par la ville au tout début du confinement, notamment pour soutenir les intermittents. « Les grandes salles ont été interdites de représentation dès le 1er mars. Plus personne ne travaille depuis le 16 mars. A force de crier que les intermittents allaient tous tomber au RSA si rien n’était fait, on a obtenu que des mesures soient prises. Mais tout reste flou », s’inquiète la musicienne. L’idée de mener des ateliers dans les écoles évoquée par Emmanuel Macron l’interroge : « Quel atelier va bien pouvoir organiser, par exemple, un technicien du HellFest ? On ne voudrait pas faire une concurrence déloyale à nos collègues dont c’est le métier, en étant payés moins chers sous prétexte qu’on touche l’intermittence », complète-t-elle. Pour le moment, Karine épluche les rapports sanitaires : « Va-t-on devoir faire des duos plutôt que des quintets ? Les structures vont-elles organiser de tels spectacles sachant que ce sera moins rentable ? » Des questions qui, pour l’instant, restent sans réponses.

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Finie, la rigolade ?

Franck Dinet, fondateur du théâtre/école de clown le Samovar, a lui aussi le nez dans les protocoles qui conditionnent la reprise de l’activité. « Il faudra porter le masque dans l’établissement, maintenir une distance de 2 mètres entre les comédiens, de 2m50 pour les improvisations, ne pas trop s’énerver, car, si le comédien transpire, la distance exigée passe à 10 mètres, comme pour un joggeur. Il faudra désinfecter le sol, les toilettes, les poignées de portes toutes les 3 heures. Diviser par trois ou 4 la jauge de 160 personnes de notre salle de spectacle », énumère le directeur, en se consolant tout de même : « Parfois, la contrainte est source de création ». Le théâtre a déjà du annuler 7 stages sur les 17 qu’il mène à l’année, ainsi que les cours réguliers, et ne sait pas s’il pourra assurer ses traditionnels stages estivaux. « Si tout se passe bien, nous en serons à 40 000 euros de déficit à la fin juin. Nous avons de quoi tenir jusqu’à l’été en terme de trésorerie, mais nous allons être amenés à demander l’aide de nos financeurs. Ils ont été très attentifs à notre situation durant tout le confinement », expose-t-il. Franck Dinet s’inquiète aussi du sort des élèves de son école, qui ont vu la fin de leur année scolaire se décaler en octobre, et qui, parfois originaires de province ou de l’étranger, vont devoir trouver les ressources pour payer leur logement jusque-là. Prenant leur mal en patience, ils ont réalisé un clip de confinement.

Plaidoyer pour une culture populaire

Cette condition a aussi été source d’inspiration pour Kamel Ouarti, directeur du Studio Théâtre de Stains. Il compte monter une pièce constituée des témoignages auxquels il a fait appel dans la newsletter du théâtre pour inaugurer la reprise... dont il ne sait pas quand elle aura lieu. Le directeur a eu beaucoup de mal à se résoudre à fermer son théâtre : « Nous accueillons 400 praticiens chaque semaine, parmi lesquels beaucoup d’enfants et d’adolescents stanois, qui ne peuvent pas s’exiler à l’île d’Oléron. Ce qui a été terrible, c’est l’arrêt de la vie sociale, on sait combien ça a été difficile pour les gosses qui habitent dans les petits appartements de la cité du clos Saint-Lazare », regrette Kamel Ouarti. L’idée que les artistes se consacrent à l’action culturelle dans l’Education Nationale, évoquée par Emmanuel Macron, suscite la polémique. « Pas question de substituer les ateliers à l’école par du véritable travail artistique », a par exemple estimé le directeur du Théâtre de Chaillot. Kamel Ouarti s’insurge contre cette position : « L’art, ça ne se fait pas seulement dans les hautes sphères. L’action culturelle et la création sont indissociables. Il faut que les créateurs mouillent le maillot, qu’ils viennent dans les quartiers, avec de l’empathie plutôt que de la bienveillance, et dans le partage, plutôt que le surplomb. Ce sera une occasion pour renforcer les liens entre les théâtres nationaux et les théâtres de proximité  ». Comme il a dû reporter les résidences, les créations et le festival du jeune théâtre, points d’orgue de l’année, le directeur envisage de rester ouvert cet été. « On n’a qu’une envie, c’est de renouer avec la création », trépigne cet incontournable de la ville de Stains.

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Les « 2 Georges » dans les starting-blocks

Notre dernière guérisseuse d’ennui est libraire. « On a eu énormément de monde le week-end précédant le confinement, puis la chaîne s’est brutalement arrêtée. Heureusement, la sortie des nouveautés « locomotives », telles que les ouvrages de Guillaume Musso ou Joël Dicker, a été reportée, ce qui nous met sur un pied d’égalité avec les mastodontes du livre », raconte Clara da Silva, fondatrice des « 2 Georges », à Bondy. Pour garder le contact avec son « cœur vibrant » de clients, elle postait chaque jour un quizz littéraire sur sa page Facebook. Elle a aussi continué à distribuer au goutte à goutte les commandes qui lui étaient faites, sans pour autant s’emparer du dispositif de librairie93, qui a permis à ses homologues d’utiliser à plein le « click and collect ». Clara Da Silva compte donc sur la fidélité de sa clientèle pour repartir d’un bon pied dès le déconfinement, qui a pour elle été synonyme de réouverture. Car si ses fournisseurs ont décalé le règlement de leurs facture au mois de juin, le problème subsiste : « On va devoir payer trois mois de charges, dont deux mois sans activité. Nous espérons un regain d’activité en mai pour pouvoir tenir avec notre trésorerie et ne pas à avoir à faire d’emprunt. On a un mois et demi pour réparer la casse », détaille la gérante. Le 11 mai, un client providentiel lui a fait une commande de 300 euros de livres sur les épidémies et les vaccins. Le confinement pourrait avoir des effets secondaires plutôt bénéfiques pour son commerce : « Le confinement a mis en lumière la nécessité de disposer de commerces et d’activités de proximité. Et les habitants de Bondy comprennent très bien que cela signifie qu’il faut les faire vivre. Ensuite, si on ne peut pas partir en vacances cet été, il va bien falloir s’évader, et pour cela, connaissez-vous une meilleure activité que la lecture ? ».

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