Les inconfinables

Belkacem, éboueur : « Je pars au travail la boule au ventre »

Il est éboueur, elle est pharmacienne, lui magasinier, elle infirmière. Tou·te·s opèrent en Seine-Saint-Denis. Et tou·te·s, malgré les mesures de confinement prises contre la pandémie de coronavirus, se rendent chaque jour sur leur lieu de travail pour maintenir le fonctionnement du pays. Pour Le Mag de Seine-Saint-Denis, ils racontent leur quotidien d’"inconfinables".

Belkacem Rebiai est éboueur à Saint-Denis :

« Depuis le 17 mars, date du début du confinement, je pars au travail la boule au ventre. C’est la première fois que je ressens un tel stress en plus de vingt ans de métier. On le sait, éboueur est une profession à risque [les accidents sont notamment dus à la présence d’objets coupants ou de produits toxiques dans les poubelles, à la circulation dans les rues ou encore au maniement des objets lourds (armoires, lits, etc.) que laissent les habitants dans les rues, ndlr] et souvent mal perçue par la population. Mais là, c’est pire que tout, on nous demande de venir travailler comme si de rien n’était. D’autant que durant les premiers jours, la situation était chaotique. Comme ailleurs, il a fallu faire sans masques et sans gel hydro-alcoolique. Quant aux gants, heureusement qu’on a pu compter sur ceux qu’on utilise au quotidien. Une honte ! Après avoir menacé la direction de faire valoir notre droit de retrait, celle-ci a aussitôt réagi et s’est débrouillée pour obtenir des masques. Mais le problème n’est pas encore entièrement réglé car il n’y en a pas pour tout le monde. Seuls les premiers arrivés sont récompensés. Pour ma part, j’utilise un masque FFP2 que je garde toute la journée [ce masque de protection respiratoire est équipé d’un système filtrant, destiné à protéger le porteur des risques d’inhalation d’agents infectieux. Ce type de masque est rarement supporté plus de quelques heures par ceux qui les portent, ndlr]. Le lendemain, si j’arrive à m’en dégoter un nouveau, je jette l’ancien à la poubelle sinon je le réutilise. Je sais que je ne devrais pas faire ça mais je préfère porter quelque chose plutôt que rien du tout, c’est psychologique.

Il y a des éboueurs plus mal lotis que nous. En cabine, nous ne sommes jamais plus de deux (au lieu de trois parfois) et tous les jours, à la fin du service, l’un d’entre nous est chargé d’appliquer une lingette sur le volant et les banquettes des véhicules. La grande différence avec avant ? Les rues sont globalement plus propres mais il y a davantage d’ordures ménagères car les gens passent plus de temps chez eux et ont plus à jeter. La perception de notre travail aussi a beaucoup changé. Certaines personnes nous applaudissent ou nous laissent des mots d’encouragement sur les poubelles. D’autres, au contraire, nous craignent comme des pestiférés et nous le font sentir, en raison du risque de contamination lié aux déchets.
Physiquement et nerveusement, c’est très dur. L’équipe est déjà usée et on ne sait même pas combien de temps cette crise va durer. Sur mon secteur, il est pour l’instant impossible de savoir qui a été contaminé. Deux ou trois collègues ont été arrêtés mais on ne sait pas si c’est parce qu’ils ont été infectés. Il y a quelques jours, j’ai consulté mon médecin car je ressentais des douleurs articulaires mais d’après lui tout va bien. En ce moment, on se laisse vite gagner par la paranoïa et l’anxiété. »

Propos recueillis pas Grégoire Remund

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