Alain Gaussel, le conteur du 93, a tourné la page

Alain Gaussel, le conteur du 93, a tourné la page
Hommage

Durant cinquante ans, cet habitant de l’Ile Saint-Denis, amoureux des mots et des livres, a sillonné les banlieues défavorisées de Seine-Saint-Denis pour raconter des histoires aux enfants. Cet homme discret et généreux, connu comme « le conteur du 93 », est mort mardi 27 septembre à 92 ans.

Beaucoup d’enfants, devenus aujourd’hui des adultes, ont encore en mémoire sa voix douce, ses longs cheveux d’idéaliste et ses histoires longues et belles comme des soirs d’été. Alain Gaussel, ingénieur de profession, mais griot à ses heures perdues, s’était fait une spécialité des histoires racontées, d’Aulnay à La Courneuve, de Sevran à Saint-Denis, de cités en cités. Au point d’en avoir tiré le titre non officiel de « conteur du 93 ».

À 92 ans, l’homme ne sortait plus beaucoup de son petit appartement de l’Ile Saint-Denis, où nous l’avions rencontré en novembre 2020. Mais les mots qu’il a distillés pendant 50 ans, au cours de longues après-midis passées à lire des contes du monde entier ou ses propres compositions, résonnent encore dans les têtes de ses auditeurs devenus parents, puis de leurs enfants et petits-enfants.

Issu de la bourgeoisie intellectuelle parisienne

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Alain Gaussel a découvert très jeune l’univers étrange et merveilleux des contes russes que sa grand-mère lui lisait tous les soirs. Ingénieur agronome et journaliste pour un journal de défense des consommateurs, il est aussi militant antiraciste pour le MRAP et découvre la banlieue en donnant des cours de français à des travailleurs immigrés algériens à Clichy-la-Garenne.

L’enfant des beaux quartiers parisiens veut mieux comprendre ses élèves et s’installe près des bidonvilles de Nanterre puis à l’Île-Saint-Denis. Au début des années 70, lors d’une longue balade « destinée à mieux connaître les cités », il s’essaie à l’art du conte auprès d’un groupe d’enfants. Séduit par l’expérience, l’ingénieur décide « d’enchanter le quotidien des petits banlieusards » et se constitue un répertoire d’une quinzaine de contes déjà testés auprès de ses neveux et nièces.

Alain, qui fréquente assidûment les bibliothèques, consacre alors tous ses loisirs à sa passion pour la transmission et pose son tabouret au pied des immeubles à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois, au quartier des Beaudottes à Sevran, à Saint-Denis ou aux 4000 à La Courneuve.

« J’ai rencontré une très bonne écoute. Surtout, j’ai vite eu le sentiment de faire partie du quartier et de m’y sentir bien : les parents et les enfants me reconnaissaient, pour moi, c’était le paradis sur terre », se souvenait celui qui a arpenté durant cinquante ans les parcs, écoles et places publiques de Seine-Saint-Denis.

« Je me suis mis à raconter des histoires parce que c’était ma passion. Et quand vous avez une passion, je considère qu’elle doit être partagée. Que vous soyez peintre, jardinier ou sculpteur, tout le monde devrait partager sa passion avec les autres pour transmettre », soulignait-il très simplement au micro de Fawzi Arslane, habitant d’Aulnay qui l’avait rencontré au soir de sa vie pour un documentaire sur le Galion, barre d’immeubles emblématique de cette ville.

Une légende pour les familles des cités

Celui que les habitant·e·s appellent « le magicien » attirait « comme des nuées de moineaux » les enfants des cités, fasciné·e·s par des contes visuels et pleins de rebondissements. Nawal et Toufik, un couple d’Aulnay-sous-Bois, se souviennent encore de ses passages. « À l’époque, l’après-midi, le quartier était bruyant : les jeunes jouaient au foot, on faisait de la moto. Quand Alain arrivait, tout le monde se calmait et se mettait en rond pour l’écouter », confie Toufik.

« Il m’a clairement donné l’amour des livres. C’était un magnifique conteur, doublé d’un militant social. Imaginez-vous, il sacrifiait ses vacances pour être avec ceux qui n’avaient pas de vacances », témoigne à son tour Salima Yenbou, députée européenne, qui a grandi aux 3000 à Aulnay et guettait le conteur tous les étés durant ses années de primaire et de collège.

Le conteur capable de captiver pendant des heures son auditoire jouit vite d’une certaine aura dans les banlieues et au-delà du périphérique. En 1987, le photographe Robert Doisneau suit même Alain Gaussel au quartier des Francs-Moisins à Saint-Denis et le fait poser devant l’objectif.

Le marchand d’histoires s’inspire d’anecdotes de la vie quotidienne pour créer ses propres contes. Un dimanche, il voit passer trois chats et invente une jolie histoire d’animaux complexés par leur pelage. «  J’ai voulu montrer par cette fable que l’essentiel est de s’aimer tel qu’on est et d’avoir de bons amis ». Alain publie entre autres « La grosse pomme » en 1999, « Le grain de riz » en 2006, « Chrysopompe de Pompinasse » ou « Les quatre loups », récits imaginés la nuit entre le sommeil et les rêves…

Amoureux des mots, Alain Gaussel n’oubliait pas pour autant les gens. Très affaibli ces dernières années, il donnait encore de l’argent à des personnes dont il jugeait qu’elles avaient besoin d’aide, quand lui-même vivait dans un grand dénuement. Au soir de sa vie, il avait totalement cessé son activité de conteur, mais se disait « pas inquiet pour la suite » « Des conteurs, il y en aura tant qu’il y aura des histoires… » Mais il n’y aura eu qu’un Alain Gaussel.

©Crédit-photo : Bruno Lévy – Périphérie / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.

La famille d’Alain Gaussel propose au public une après-midi de rencontres, partages, lectures et verre de l’amitié, mercredi 5 octobre, à partir de 16h30 au square Fackler de l’Ile Saint-Denis (puis sur la place de la Libération).

Venez nombreuses et nombreux vous souvenir de ce personnage haut en couleurs !

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