« A ta vie ! », la cuisine comme divan

« A ta vie ! », la cuisine comme divan
En cuisine

Dans cette pièce douce-amère, la comédienne Sara-Jehane Hedef met en scène les conséquences de la guerre d’Algérie sur certaines vies. En l’occurrence la sienne : minée par les non-dits de son enfance, elle raconte comment c’est finalement la cuisine qui a délié la langue de sa grand-mère. Un « seule en scène » à voir le 22 février à Bobigny.

« Faire la cuisine, c’est réparer les choses » C’est ce que glisse Léla, de son fort accent algérien à Ninette, sa petite fille. C’est que des choses à réparer pour Ninette, il y en a : ce sentiment de déracinement, chaque fois qu’elle se regarde dans le miroir et qu’elle voit ses origines maghrébines, qu’on s’empresse pourtant de lui faire oublier ; cette gêne qui s’empare de toute la maisonnée quand la petite fille demande pourquoi la grand-mère a quitté l’Algérie pour un HLM de banlieue. Alors, pour calmer l’inconfort et même le mal-être qui montent chez Ninette, Léla sort ses légendaires boulettes, parmi les meilleures d’Algérie !

Mur de silence

Et de la même manière que Gustave Flaubert disait « Madame Bovary, c’est moi », Ninette c’est Sara-Jehane Hedef, dont « A ta vie ! » (lire Atavie comme atavisme, qui souligne la gémellité entre grand-mère et petite-fille) est une pure auto-fiction. « Petite, j’ai beaucoup souffert du silence assourdissant qui régnait à la maison dès que je voulais savoir quelque chose sur l’Algérie, se souvient la comédienne de 34 ans. Celle-ci était omniprésente à travers le raï, le ramadan ou le couscous, mais en même temps, ma sœur et moi avions interdiction de parler l’arabe pour ne pas « nuire à notre intégration ». Quant à poser des questions sur la guerre, alors là, elles rebondissaient toutes contre un mur ».


La comédienne, qui aura emménagé à 16 ans chez sa grand-mère avec qui elle entretient une relation presque fusionnelle, trouvera finalement son salut via la nourriture. Un peu comme dans la pièce, c’est pendant la confection de boulettes que les réponses finissent par arriver : les agissements du mari de sa grand-mère, qui en font « quelqu’un dont on doit se méfier » aux yeux des autres habitants de Maghnia, petite ville à l’ouest de l’Algérie ; son départ, contrainte et forcée, en 1964, deux ans après la fin de la guerre avec « 5 enfants à élever, une terre à oublier » ; son arrivée dans une cité de Versailles où Léla se mure dans son silence.

Toasts des ancêtres

« A ta vie parle bien sûr de mon histoire, mais vise plus large que ça. En fait, j’aimerais faire prendre conscience à tous les parents que s’ils racontent son histoire à leur enfant, même si elle est délicate, ils lui donnent un socle pour la vie. Et bien souvent, la nourriture est idéale pour cela car elle est à la fois un symbole de transmission et un vecteur du souvenir. Lancez un atelier cuisine, et vous verrez : les histoires fusent ! »


Et Sara-Jehane Hedef joint le geste à la parole puisqu’elle s’agite aux fourneaux en marge de la pièce. Ce sera encore le cas à Bobigny, où la comédienne interviendra auprès de 6 familles du PRE, le Programme réussite éducative de la ville, à côté de la pièce jouée le 22 février. « Je compte faire avec eux des « toasts des ancêtres », selon une recette bien éprouvée : chacun compose la recette de son pain et de son pesto selon l’histoire de sa famille. Même moi, je suis à chaque fois étonnée de voir à quel point les parents racontent à cette occasion des histoires de leur immigration, des histoires qu’ils avaient peut-être enfouies parce qu’ils les pensaient inintéressantes ou honteuses. Alors que ça fait avancer tout le monde : eux-mêmes mais aussi leurs enfants ! », dit celle qui a monté ces ateliers en co-production avec le Mystère Bouffe. Cette compagnie basée au Pré Saint-Gervais, qui travaille beaucoup le lien avec le territoire, prévoit aussi de reprendre la pièce en mai à Bondy, à la ferme Caillard.
Des tonnes de symboles, quelques belles images, un chouïa d’humour : telle est la recette de « A ta vie ! », un seul en scène doux-amer, à consommer sans modération.

Christophe Lehousse
Photos : ©Franck Rondot

– A ta vie ! Salle Pablo Neruda, le 22 février à Bobigny, à 19h (durée : 1h10)
Spectacle tout public à partir de 10 ans- Gratuit sur réservation au 01 48 40 27 71 ou production@mysterebouffe.com

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