Cinéma Montfermeil Clichy-sous-Bois

A Clichy-Montfermeil, une école de cinéma fait entendre la voix de la jeune génération

Vendredi 16 novembre, le réalisateur Ladj Ly, originaire de Montfermeil, a lancé son école de cinéma Kourtrajmé. Hébergée dans les ateliers Médicis Clichy-Montfermeil, cette structure, entièrement gratuite, entend former des jeunes gens aux métiers du cinéma au contact de professionnels. Reportage.

« J’ai envie de raconter l’histoire de ma ville, mais pas juste les aspects sombres. Je veux transmettre l’état d’esprit d’ici, la culture de la débrouille et de la tchatche. Ici, il y a toujours un petit soupçon de magie et de miracle. » Bilel, 31 ans, parle bien de sa ville natale, Clichy-sous-Bois. Alors, quand le réalisateur Ladj Ly a lancé en août son appel à candidatures pour la première promotion de sa nouvelle école de cinéma basée à Clichy-Montfermeil, le jeune homme s’est lancé…
L’école Kourtrajmé – en référence au collectif du même nom formé dans les années 90 par Ladj Ly et ses acolytes, parmi lesquels les réalisateurs Kim Chapiron, Romain Gavras ou encore l’acteur Vincent Cassel – présentait vendredi sa première promotion. Pendant trois mois, 10 jeunes passionnés de cinéma, recrutés parmi un millier de candidatures, vont se consacrer à fond à l’écriture de scénarios dans les locaux des Ateliers Médicis Clichy-Montfermeil. Mis sur pied en 2016, ces ateliers entendent faire venir des artistes de renom au coeur des quartiers populaires mais aussi mettre en lumière les talents créatifs en banlieue. Un projet qui ne pouvait donc que résonner avec celui de Ladj Ly, réalisateur qui a grandi dans la cité voisine des Bosquets, à Montfermeil.
« Ca fait 20 ans qu’avec le collectif Kourtrajmé, on arpente nos villes. Les trois quarts de nos films ont été réalisés et produits ici, explique ce cinéaste autodidacte, qui vient d’achever le tournage de son premier long-métrage, « Les Misérables » (voir encadré). Ce territoire nous a beaucoup apporté et à un moment, ça me semblait logique qu’on le lui rende. On a donc envie de partager notre expérience avec la jeune génération. »
Dans sa philosophie, l’école Kourtrajmé, pour l’instant financée par les villes de Clichy et Montfermeil à travers les Ateliers, fait penser à l’école de mode Casa 93, ouverte récemment à Saint-Ouen ou à Eloquentia, le dispositif de formation à la prise de parole en public né à Saint-Denis, sur lequel Ladj Ly avait d’ailleurs signé le documentaire « A Voix Haute » : entièrement gratuite, Kourtrajmé est ouverte à des jeunes qui ne sont pas du sérail, animés de leur seule envie.
« A la sélection, sur mille candidats, on a eu mille profils différents, mille envies d’histoires différentes. Et pas juste des histoires des quartiers populaires, non, des histoires de vie et des points de vue différents sur le monde », souligne Ladj Ly.
Bandjougou, 20 ans, originaire de Montfermeil, porte ainsi en lui l’histoire de son frère, entraîné dans un sombre fait divers et condamné à de la prison. « Une histoire douloureuse, que je voulais à tout prix raconter, mais sans savoir avec quels moyens ni comment », affirme le jeune homme, le plus jeune de cette première promo. Manal, habitante d’Ivry, a elle derrière la tête un récit d’immigration, assez autobiographique. « Je veux insister sur l’exil, sur les déchirures qu’implique un départ et aussi sur la notion de sacrifice parental qui va souvent avec », souligne cette jeune Franco-Marocaine qui dit ne pas toujours se retrouver dans le traitement de l’immigration sur la grande toile.

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Si les idées d’histoires sont différentes, les mêmes raisons reviennent quant à ce qui les a poussés à postuler à cette école d’un nouveau genre. L’argument de la gratuité tombe sous le sens, même s’il est loin d’être le seul. Bilel met ainsi en avant un manque de modèles et de réseau, comblé par l’émergence de cette école : « Moi, avant que Ladj Ly et les autres gars du collectif Kourtrajmé se mettent à faire du ciné, j’aurais jamais pensé que c’était pour nous ». « Cette structure, c’était pour moi le compromis idéal entre une école classique et un complément de formation dans les métiers du ciné », ponctue de son côté Louise, passée par des études d’arts appliqués et qui a mis entre parenthèses son métier de graphiste pour tenter de réaliser son grand rêve : faire du cinéma.
Pendant trois mois, ces 10 apprentis cinéastes vont donc donner forme aux histoires qu’ils portent. Du lundi au jeudi, ils grimperont au troisième étage de la structure éphémère des Ateliers Médicis (en attendant les locaux définitifs à l’horizon 2024, en face de la future gare du Grand Paris Express) pour écrire leur court-métrage. Les deux projets jugés les plus aboutis auront la chance de passer à l’étape suivante de la réalisation. Dans leur processus de création, Bilel, Manal et les autres pourront non seulement s’appuyer sur l’aide quotidienne de deux professionnels chevronnés - Thomas Gayrard, ancien prof et scénariste, et Nicolas Fleureau, réalisateur notamment de « Corporate » sur le harcèlement au travail. Ils pourront aussi compter sur les interventions régulières de figures prestigieuses : Kim Chapiron, Vincent Cassel, Adèle Exarchopoulos ou encore Leïla Bekhti.
« On croit réellement qu’une partie du renouveau du cinéma français passe par la prise de parole de cette nouvelle génération, avec un autre point de vue sur le monde, avec aussi un autre rapport à l’image, pointent les encadrants Thomas Gayrard et Nicolas Fleureau. L’establishment français ne jure que par la diversité du ciné hollywoodien, mais en France, pas grand-chose ne se passait jusqu’à récemment. Si cette école peut y contribuer, c’est tant mieux ».
A l’heure des questions, une voix s’élève dans l’assistance : un jeune homme aimerait savoir comment postuler pour la prochaine session, également de trois mois, qui succédera à cette première promotion et concernera elle la réalisation. On le confirme : il y a bien un fort désir de cinéma à Clichy-Monfermeil.

Christophe Lehousse

Ladj Ly, la banlieue dans le viseur

« J’ai toujours filmé. J’ai commencé par les potes et puis j’ai élargi aux habitants de la cité, parce qu’il s’y passait plein de choses. Ca a juste pris plus d’ampleur avec les émeutes de 2005 », raconte Ladj Ly. Celui qui habite Montfermeil depuis l’âge de 3 ans n’a jamais cessé de documenter son lieu de vie et à travers lui, la banlieue, en en montrant la relégation, mais aussi les joies et les gens.
Ses premières gammes, ce réalisateur les a faites au sein du collectif « Kourtrajmé », dont il fait toujours partie. D’abord acteur, il est vite passé de l’autre côté de la caméra en remarquant l’extraordinaire liberté que lui donnait ce média. En 2001, sa rencontre avec le photographe JR, connu depuis pour ses clichés monumentaux en milieu urbain, est déterminante. Ensemble, ils affichent dès 2004 de gigantesques portraits d’habitants de la cité des Bosquets sur des tours concernées par le plan de rénovation urbaine à Montfermeil.
Et quand les émeutes urbaines embrasent Clichy et Montfermeil à la mort de Zyed et Bouna, Ladj Ly est encore à pied d’oeuvre. De ces révoltes sociales, il tirera le documentaire « 365 jours à Montfermeil ». 12 ans plus tard, c’est encore ce même désir de justice sociale et de prise de parole au nom des sans-voix qui l’anime quand il tourne « Les Misérables », un court-métrage dénonçant les violences policières. Percutante, cette oeuvre sera récompensée par une nomination aux Césars 2018, donnant à Ladj Ly l’envie d’en faire un long. « Les Misérables », en allusion évidemment au roman de Victor Hugo, que le réalisateur estime encore d’actualité aujourd’hui.
« Quand je lis ce que Victor Hugo disait il y a près de deux siècles de la misère et des inégalités de la condition humaine, je me dis que peu de choses ont changé. D’ailleurs, les Thénardier habitaient déjà Montfermeil. » Tournée à l’été 2018 dans la cité des Bosquets de Montfermeil, la transposition de l’oeuvre de Hugo à l’époque moderne devrait sortir début 2019.

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